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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/157

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Ici, un petit incident qui aurait pu tourner au tragique, mais qui passa inaperçu, grâce au Ciel. J’avais bien appris ma leçon, et pendant la « cérémonie du mariage, » je n’avais pas bronché dans mes réponses, mais, à l’instant de signer, j’eus une absence : pour un moment, j’oubliai mon rôle et je commençai à signer mon vrai nom : T. Kour… Après avoir écrit les quatre premières lettres, je revins à moi, et je sentis une sueur glacée me monter au front ! Je me hâtai de faire une grande tache d’encre sur ces malheureuses quatre lettres, et signai mon nom d’emprunt. Mon « mari » chuchota à mon oreille : « Allez-vous en aussi vite que possible. » Je compris que ma position était dangereuse : les bolchévistes ont une organisation d’espionnage admirable. Je m’élançai dehors, descendant l’escalier quatre à quatre, à demi morte de frayeur.

Je ne respirai librement qu’en arrivant à la Poushkinskaïa. J’avais mal débuté… De retour à la maison, j’emballai à la hâte dans un modeste sac de voyage, un peu de linge, quelques blouses et une paire de souliers. Le plus difficile était de cacher mes perles et de les faire passer à la frontière. Je décidai de les laisser à Kiev, Vladimir Ivanovitch promettant d’aller les chercher plus tard à Jitomir, ou nous étions obligés de passer quelques jours pour affaires du « Glavsakhar. »

À trois heures, j’étais prête, mes cheveux entièrement cachés sous un châle de couleur sombre, l’air assez bien d’une servante. Nous primes un fiacre et nous roulâmes vers la Poushkinskaïa, où Vladimir Ivanovitch et André m’attendaient. Je jetai le manteau de mon « mari » sur mes épaules, et nous descendîmes tous les trois, Vladimir Ivanovith, André et moi, la Poushkinskaïa jusqu’au coin du boulevard Bibikovsky, où un camion énorme, chargé de barils d’huile pour Jitomir, nous attendait. Vladimir Ivanovith me présenta le chauffeur et son aide, de vrais bolchévistes ceux-là, auxquels force m’était de donner le nom odieux de « camarade, » qui n’avait jamais souillé mes lèvres depuis le commencement de la Révolution. : Mais le plus difficile était de s’habituer à tutoyer mon nouvel époux…

Notre camion ressemblait à un vieil éléphant paralysé : il haletait, soufflait et craquait de toutes parts. C’était un des mille et mille exemples de « l’œuvre créatrice » des soviets. Bien que Jitomir ne fût situé qu’à 128 verstes de Kiev, nous fûmes