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de l’entendre ? Personne, excepté Yuan-Tchen, et il a été banni peur trois ans dans la ville de Tchiang-ling, comme huissier a la cour. Nous sommes séparés par trois mille lieues, et jamais même il ne saura que j’ai écrit un poème. »


EN ÉCOUTANT LE LORIOT

« Au lever du soleil, j’étais encore dans mon lit. Un loriot chanta sur le toit. Un moment, je revis le parc royal, à l’aurore, quand, de tous les arbres, les oiseaux du printemps saluaient leur seigneur. Je me rappelai les jours où je servais, le pinceau en main, près du trône, dans le palais de Tch’eng-ming. Au cœur du printemps, le matin et le soir, quand je m’arrêtais un instant dans mon travail, était-ce bien cette voix, celle qu’alors j’entendais ? Maintenant je suis exilé, et le loriot chante encore dans la paix morne de Hsün-Yang. Les notes de ce chant ne peuvent pas avoir changé. Toute la différence est dans le cœur de l’écouteur. S’il pouvait seulement oublier qu’il végète au bout du monde, l’oiseau chanterait comme dans le palais, autrefois. »

Voici enfin un morceau mêlé de prose et de vers :


CHANT DES SENTIMENTS D’AUTREFOIS

« Quand Lao-t’ien [1] était vieux, il fut frappé de paralysie. Il fit alors la révision de ses biens et de ses dépenses, pour supprimer ce qui lui était devenu superflu. Il avait à son service une jeune fille d’environ vingt ans, appelée Fan-su, dont les altitudes faisaient ses délices, qu’elle dansât ou qu’elle chantât. Mais elle excellait surtout à chanter la Branche de Saule, de sorte que beaucoup l’appelaient ainsi, et que c’était sous ce nom que sa réputation s’était répandue dans la ville de Lao-Yang. Mais comme elle n’était plus nécessaire, on allait la renvoyer.

« Il avait encore un cheval blanc à crinière noire, bête vigoureuse, au pied sûr, qu’il avait monté durant des années. Devenu inutile, on allait le vendre. Quand le valet d’écurie l’emmena, arrivé à la porte, il secoua la tête et regarda en arrière, puis il poussa un hennissement qui semblait dire : « Je sais que je vous quitte et, de tout mon cœur, je voudrais rester. »

  1. C’est Pai Kiu i lui-même.