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peut-on penser à celles de papier de Chine qui, à la Poudrerie, vous tracent ces lignes ?...

Ma sœur est une indiscrète et une négligente. Les vases devraient être chez vous depuis longtemps ; je voulais qu’à votre arrivée, pendant un instant, un seul et indivisible instant, vous vous crussiez dans le billard, et que ma tête vous apparut entre les porcelaines. C’est un coup manqué !... Ah ! ma sœur ! elle est bien souffrante, oui, depuis longtemps nous sommes alarmés, bien que sa position ne sorte pas des cas ordinaires. Vous êtes bien bon de l’être allé voir, pauvre femme !... elle a été fort belle, mais cela ne lui a nui en rien, et sa vieillesse sera charmante. Adieu, je vous aime bien, je vous embrasse un peu.

Carraud vous est fort attaché.

Notre artiste [1] va voir la Méditerranée ; il travaille beaucoup. Comme vous, il a manqué perdre l’usage d’une jambe.


Le réquisitoire de Mme Carraud émut profondément Balzac, mais ne le blessa point. Il comprenait trop bien qu’une amitié passionnée avait seule inspiré toutes ces duretés, un désir de ne trouver en celui qu’on admire et qu’on aime, ni petitesse, ni bas calculs : « Merci du fond du cœur, répond- il aussitôt [2], de votre lettre si amie et si tendre, malgré toutes vos duretés. Je vous écris, laissant mes travaux pour vous avec plaisir. Le 10 octobre, je partirai pour l’Italie, à laquelle je ne résiste point. Soyez tranquille, la Bataille va paraître et quelque chose de mieux que la Bataille, un livre selon votre cœur, le Médecin de campagne.

« Rassurez-vous pour la Revue de Paris. Le directeur et le journal ont fait tout ce qu’humainement je pouvais exiger. Ils répareront tout ; ils me font un traitement fixe de cinq cents francs par mois, pour un article par mois.

« Je vous aime bien, parce que vous me dites tout ce que vous pensez. Cependant, je ne saurais accepter vos observations sur mon caractère politique, sur l’homme de pouvoir. Mes opinions se sont formées, ma conviction est venue à l’âge où un homme peut juger de son pays, de ses lois et de ses mœurs. Mon parti n’a pas été pris aveuglément, je n’ai été mû par aucune considération personnelle, je puis le jurer à vous à qui je ne voudrais jamais mentir, puisque je vous parle de cœur à cœur. Ainsi, je rie dois, je ne puis jamais revenir sur

  1. Borget.
  2. Correspondance, I, 204. Nous citons les passages essentiels de cette lettre d’après l’original rectifiant quelques inexactitudes de l’édition.