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moquer de tout, et qui m’accuseraient de versatilité. J’ai tant de peines que je ne puis vous en rien dire. Seulement, si mon arrangement ne peut pas se faire dans certaines conditions voulues, auprès de Paris, j’irai près de vous à la Poudrerie. Vous voyez comme je compte sur vous, avec quelle franchise ! Il faut que je travaille constamment, octobre, novembre, décembre et janvier. Pour soutenir ce travail, il me faut des distractions. Je n’en ai pas eu ; je suis déplorablement seul depuis une année. Je dois rendre cette justice à Mme de Castries qu’elle m’a généreusement offert de venir avec moi et de se renfermer courageusement dans une maison de campagne. Mais elle a trop besoin de l’Italie. J’ai refusé. Si les hasards de ma destinée le veulent, je n’aurai aucune raison pour ne pas être en Italie en février. Mais, chère, que de travail !

Comme intérêts pécuniaires, ma situation va s’agrandir dans ces quatre mois. Je serai libre de tout lien ; je garderai le plus pesant de tous : mes obligations envers ma mère, qui me sont tant reprochées, par elle avec une constante acerbité qui me tue. Ainsi, de toutes manières, nous nous reverrons, car je ferai un détour, en février, pour aller vous baiser les mains en allant à Marseille. J’ai bien souffert depuis votre dernière lettre et des maux inouïs, car ils sont en raison de ma sensibilité tout artiste, vive, de premier mouvement. Adieu ! pensez à moi, comme vous pensez aux gens qui sont courbés sous le poids du travail et de l’affliction.

Vous pouvez me répondre, poste restante, à Nemours [1], Seine-et-Marne. C’est là que j’attendrai les réponses pour fixer mon établissement, ou pour aller chez vous, chez vous qui avez été si bonne et si douce pour les misères du poète ! Mille fois merci de cœur !

J’ai une chemise à vous qui m’est restée par mégarde, et un faux-col. Les ménagères n’aiment pas à voir leurs douzaines se décompléter. Je vous rapporterai tout. Votre voisin pourra lire le Voyage à Java dans une des livraisons de la Revue de Paris du cours d’octobre au commencement de novembre. Mille choses gracieuses à tout le monde, et, à vous, je ne vous dis rien. Vous savez deviner ! Le commandant acceptera bien une poignée de main, qui n’a jamais rien d’aristocratique pour lui.

  1. Balzac fit de nombreux séjours près de Nemours à la Bouleaunière, propriété de Mme de Berny.