conseils ; elle les soutenait enfin de son autorité contre le clan réactionnaire de la cour. Alexandre II lui témoignait de grands égards et se plaisait à l’entendre parler de politique. S’il la jugeait parfois trop aventureuse, trop prompte aux illusions, trop insouciante des obstacles, il ne lui cédait rien pour la générosité des sentiments et le libéralisme des principes.
Mais le temps avait passé : les déceptions étaient venues. Les réformes n’avaient rien amélioré dans le fonctionnement de la machine administrative ; les difficultés renaissaient continuellement ; les abus se perpétuaient, si même ils ne s’aggravaient, sous d’autres noms. Fatigué, attristé de cette lutte incessante et vaine, n’ayant jamais la joie ni la consolation d’aucun succès, le Tsar émancipateur avait peu à peu fléchi dans l’effort. Un scepticisme découragé alanguissait son âme trop sensible. Bientôt, il avait perdu toute confiance dans son peuple.
Simultanément, le parti réactionnaire s’était fortifié. Les défenseurs de l’absolutisme orthodoxe avaient pour chef l’héritier du trône. Le palais Anitchkow était devenu leur quartier général. On y affirmait couramment que la politique des réformes était la négation même du tsarisme ; qu’elle conduisait la Russie à sa perte ; que d’ailleurs elle n’était pas moins sacrilège que désastreuse, car l’Empereur détruisait de ses propres mains l’autorité suprême qui lui venait de Dieu. Et l’on se répétait, à tout propos, cette parole de Nicolas Ier : « En s’inclinant devant les premières exigences de la Révolution française, Louis XVI a failli au plus sacré de ses devoirs. Et Dieu l’en a puni. »
Le mouvement d’idées, qui se centralisait au palais Anitchkow, avait fini par impressionner Alexandre II. S’il n’abjurait aucune de ses opinions premières, s’il ne désavouait aucun de ses principes libéraux, il reconnaissait mélancoliquement la nécessité d’ajourner, peut-être sine die, la poursuite de ses grands desseins. A la faveur de cet ajournement, les influences réactionnaires prévalurent peu à peu dans sa politique intérieure ; les conseillers dont il s’inspirait le plus volontiers, ne cachaient pas leur attachement aux anciennes doctrines : c’étaient le comte Schouvalow, le général Timaschew, le comte Pahlen.
Loris-Mélikow allait-il reprendre l’œuvre interrompue ?
Doué d’un esprit fin, alerte et mesuré, avec un bizarre