ne désespère pas de devenir ce qu’on appelle vulgairement bête, au train dont je vais ; et alors, voyez le miracle, sans perdre rien de mon intelligence ! Mais elle s’enfonce si loin, se perd si haut, que bientôt je ne serai plus de ce monde. Carraud vous exhorte à la patience ; Ivan vous embrasse, et moi, Honoré, je vous supplie de me donner un souvenir aux heures où l’impatience vous tourmente le plus.
Mme Carraud avait eu tort de s’inquiéter, car à peine sa lettre du 28 était-elle partie qu’elle recevait une réponse à la lettre du 21. Balzac la rassure sur « l’accident » annoncé par la Revue [1]. C’est bien une défaite inventée par le directeur pour faire patienter les abonnés. L’inspiration n’est pas toujours docile aux ordres des directeurs de revue et des auteurs, et Balzac a dû attendre la disposition d’âme favorable à la composition de Juana qu’il a d’ailleurs écrite en une seule nuit. Il fait des réserves sur l’opinion de Mme Carraud à propos de Faust : « Vous avez raison, lui dit-il, sur bien des points dans votre opinion sur Faust mais il y a des poésies que vous n’avez pas aperçues et dont nous causerons quelque jour. » Il annonce ensuite l’envoi du bel exemplaire sur Chine de Louis Lambert destiné à Mme Carraud : « Pour vous, il existe un exemplaire imprimé sur papier de Chine et qu’en ce moment les plus grands artistes de la reliure [2] s’occupent de rendre digne de vous. Vous savez, quand vous faites de la tapisserie, chaque point est une pensée. Eh bien ! chaque ligne du nouvel ouvrage a été pour moi un abîme. Il y aura là des secrets entre nous deux. Gardez-le bien, je vous en mettrai un exemplaire vulgaire que vous prêterez, si tant est que vous puissiez le prêter à beaucoup de monde. »
Puis il déclare qu’à la fin de février il cessera sa collaboration à la Revue de Paris et n’écrira plus dans aucun journal sans d’énormes bénéfices, car les journaux l’assomment. Enfin il promet de venir soit à Angoulême, soit à Frapesle, selon le temps où quelque loisir sera possible ; d’ailleurs, son travail est toujours si accablant que le docteur Nacquart redoute quelque maladie cérébrale. Vite Mme Carraud reprend la plume.
1er février 1833.
Mon Dieu, Honoré, que ma dernière lettre a dû vous paraître extravagante ! C’est qu’aussi Laure m’avait réellement épouvantée. Je voyais vos pensées, saisies par le froid des affaires dans