leur vol, se condenser et retomber lourdement sur les presses et les rames de papier de votre imprimeur. Puis, ne sais-je pas la mobilité, la succession rapide de vos sensations, et aussi combien vous êtes accessible au découragement ? Car, cher, vous êtes courageux pour supporter les piqûres des mille épines qui se trouvent au fond de toutes choses, mais vous n’êtes point philosophe ; non, ne secouez pas ainsi la tête, vous n’êtes point philosophe. Après cela, peut-être est-il bien que vous ne le soyez pas ; peut-être cette disposition d’esprit nuirait-elle à la sublimation continuelle du vôtre. Enfin, je suis toute joyeuse de ce que vous ne m’ayez pas seulement parlé de ce petit événement ; cela prouve qu’il compte pour peu dans votre vie, car, Honoré, j’ai l’orgueil de croire que vous n’hésiterez jamais à me donner ma part de tout ennui majeur.
Je n’ai pas lu Juana encore [1], mais je vais le lire ; Auguste me le recommande avec enthousiasme. Tant mieux si elle a été écrite (cette histoire) d’un premier jet ; je m’assimilerai bien mieux vos pensées.
Mon voyage dans l’Indre me parait incertain... Il ne faut pas que cela vous fasse manquer le voyage de la Poudrerie ; d’autant plus que, s’il vous faut voir la cathédrale de Bourges, vous retournerez à Paris par le Berry, ce qui n’allonge pas le chemin d’une heure, et si mon père revient, nous irons ensemble. Je suis heureuse de la douceur de vos relations avec Auguste ; c’est une âme de choix, et une intelligence en progrès ; vous pouvez compter sur lui plus que sur vous. Je vous attends pour Faust j’ai peur de ne pas être accessible à sa poésie ; je suis sûre que mon simple bon sens se refusera à une foule de beautés qui vous frappent et vous émeuvent. Je suis bien plus sûre encore de lui préférer Lambert. Oh ! merci de celui que vous me destinez si gracieusement. Non, pas de lettre d’envoi. Je vous sais. tout supérieur que vous m’êtes, et cela suffit bien. Quant à prêter cet exemplaire, n’en ayez peur ; on ne le verra même pas ; je n’ai dit à personne, et ne dirai jamais que je l’ai ; il ne doit être touché que par moi, parce qu’il est le fruit d’une de vos pensées à moi toute personnelle. Je vous l’ai dit ailleurs, je crois : je ne mets aucun amour-propre dans mes relations avec vous et, quelque relief qu’elles puissent me donner, je ne m’en vante pas.
- ↑ Deuxième partie des Marana.