ces Grecs, ces Arméniens, ces Syriens, sont la clientèle française. Qu’ils disparaissent, nous n’avons plus qu’à disparaitre. Ils sont toute notre raison d’être. Et il y a un second fait, c’est que le Turc dont ces messieurs s’accommodent, c’est le Turc tel que le façonnent les Capitulations, Ces deux points sont à méditer.
Là-dessus, nous avons causé longuement. Le consul, en même temps qu’il gère son poste dans une ville de l’Oronte, y fait pour son compte des affaires ; le religieux a plusieurs fois parcouru le Levant, de l’Égypte à la Mer-Noire, pour y visiter les maisons de son ordre. Voici quelques-unes de leurs observations que j’ai notées le soir dans ma cabine.
Au dire de ces deux messieurs, les musulmans ont dépeuplé l’Asie, arraché les arbres et fait rentrer les sources. Il y a des sources qu’on ne retrouvera jamais. Une année, me raconte le religieux, j’ai fait seize jours de caravane, de Mossoul à Alep. Pendant ces seize jours, dans cette fameuse plaine de la Mésopotamie qui a été un paradis terrestre, j’ai rencontré en tout cinq arbres. Pas un de plus. L’Islam a détruit la terre et amoindri les races qui y vivaient. Nous ne pouvons pas vous dépeindre, continuent-ils l’un et l’autre, toutes les régions de l’Empire ottoman ; elles sont diverses, et vous en parcourrez une partie. Quand vous aurez franchi le Taurus, vous passerez du monde arabe au monde turc. Turcs et Arabes sont très différents et se détestent. Ils ont pourtant en commun l’Islam. Et sous cet Islam vous rencontrerez les vieux habitants de cette terre, les nations chrétiennes asservies. Ah ! il est sûr que cet esclavage les a diminuées, et il est sûr en outre qu’elles sont différentes de nous. Mais tous ces chrétiens d’Orient sont très intéressants, très travailleurs. Des travailleurs, c’est-à-dire des civilisés.
Et puis elles sont notre clientèle : catholiques latins, que nous protégeons de par les traités ; chrétiens catholiques ottomans (Chaldéens, Syriens de l’intérieur, Maronites, Melkites, Arméniens catholiques) que nous patronnons en vertu d’un usage reconnu ; chrétiens de toute confession qui, chaque fois qu’ils ont été molestés, se sont tournés vers l’Occident et spécialement vers la France en vertu d’une tradition qui n’est inscrite dans aucun document officiel, mais dans les consciences. Il faut toujours se rappeler cela, quand il s’agit de juger les minorités