Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Le capitaine n’a jamais vu que le rivage. Il n’a même pas trouvé une occasion de monter de Jaffa à Jérusalem. Etrange petit fils des Croisés ! Du moins a-t-il des idées sur les Levantins qu’il embarque partout où il fait escale :

— Certainement, ce sont des gens d’esprit vif, mais ils ne songent qu’à paraître. Les Messageries ont fait une fameuse trouvaille en imaginant de publier dans les journaux le nom de ceux qui prennent des cabines de luxe. « M. X. de Beyrouth, embarqué dans une cabine de pont. » Ah ! pour lire cela, ils consentiraient tous les prix.

Un industriel provençal, qui partage son temps entre Marseille et la Syrie, où il emploie beaucoup d’ouvriers, se plaint que ceux-ci manquent de force et d’ardeur :

— Ce sont des populations peu viriles. Les Druses fournissent un meilleur rendement ; ils sont plus hommes ; mais dans l’ensemble, quelle mollesse !

— Et les Turcs ?

— Les vieux Turcs méprisaient l’étranger, mais gentiment, sans trop le lui faire sentir. Les jeunes Turcs nous haïssent.

Opinion aussi peu favorable chez un de nos compatriotes fixé en Egypte qui, plusieurs fois, au lieu de venir en France, a passé la saison chaude dans le Liban.

— Gardez-vous, dit-il, de juger les Syriens sur la gentille idée qu’ils vont s’appliquer à vous donner de leurs sentiments à notre égard. Ils ne connaissent que leurs intérêts.

— On les dit très intelligents ?

— Ils se font d’eux-mêmes une haute idée et je ne dis pas qu’ils manquent d’esprit, s’il s’agit de gagner de l’argent. L’argent, pour eux, c’est le tout… Vous faites un geste qui veut dire que c’est partout ainsi dans le monde. Eh bien ! Lamartine lui-même, malgré son désir de tout voir en beau, a noté ce côté mercenaire de l’Orient. Relisez ce qu’il raconte des émirs du Liban qui fêtaient lady Stanhope, et qui l’abandonnèrent, quand ils l’eurent dépouillée. Dans l’Empire ottoman, ce qu’il y a de mieux, c’est encore le Turc.

Mais deux passagers, un consul et un religieux, me prennent à part et me disent :

— Tout cela est très joli ; pourtant, il y a un fait, c’est que