sacré qui me soulevait. De telles minutes s’incorporent à notre être, comme les dernières attentes d’un premier rendez-vous d’amour. Je respirais l’odeur de l’Asie…
Les deux députés de la nation, MM. Brané et Chapotot, m’ont fait l’amitié de venir me chercher à bord. Puisqu’ils ne peuvent me nommer, dans ce paysage voilé, aucun des sites fameux de l’antiquité, je leur demande que dans la ville, doucement lumineuse devant nous, sous la brume, ils me fassent voir la grande pensée française de cette terre, l’Université Saint-Joseph des Jésuites. Si je ne peux admirer Byblos et sa noire vallée, le cap de Sidon, le promontoire de Tyr, les golfes immenses, les forêts parfumées, les cimes et les torrents de neige, qu’au moins je distingue immédiatement l’autre moitié de ma curiosité : cette maison fameuse qui s’épanouit au sommet de l’édifice scolaire de toutes nos missions d’Orient, et qui peuple de ses élèves, lettrés, médecins, juristes, formés intégralement à la française, l’Asie-Mineure, la Perse, l’Égypte et jusqu’au Soudan égyptien.
Ils me montrent sur les premières pentes qui dominent Beyrouth un long bâtiment flanqué de trois ailes.
Le voilà donc, ce phare spirituel de la Méditerranée orientale ! Quelle leçon de magnanimité nous donnent ces religieux ! La France les chasse ; ils n’en seront que plus nombreux pour la servir au dehors. Elle les renie ; ils n’ont plus de France ; eh bien ! ils en créeront une. Les voilà partis à la conquête morale du Levant. Et d’un tel élan que ce même Gouvernement, qui eût voulu les abolir, est contraint de les soutenir. O bienheureuse inconséquence, qu’il ne faut pas railler comme un illogisme dégoûtant, mais louanger comme un hommage de la déraison à la raison ! Et ce n’est pas tout : ces Jésuites, que d’innombrables libelles accusent de nuire au progrès des lumières et de la civilisation, se révèlent à l’usage les plus capables de civiliser ces immenses régions d’Orient. Et cela se comprend. Plus souples que ne le sera jamais une organisation d’État, moins vulnérables aux tentations de découragement, ils arrivent par une longue série de tâtonnements à introduire en Orient la discipline occidentale. Le témoin le plus sûr m’affirme que Marcelin Berthelot admirait profondément l’Université de Beyrouth. Ce n’est pas à l’État, disait-il, de fournir l’enseignement en Syrie. Notre personnel universitaire est formé pour l’usage des Français,