Chacun d’eux, quand il tisse le fil que l’ordre a mis dans ses mains, à quoi pense-t-il s’employer ? Que signifie dans leur esprit cette splendide tenture aux couleurs françaises ? J’admire avec gratitude notre langue répandue, nos chefs-d’œuvre d’art et nos méthodes savantes enseignés, nos traits éternels glorifiés, mais enfin cette propagande nationale ne peut pas être le dernier mot d’une puissante machine religieuse et internationale. Que veulent exactement les jésuites ? Les voilà en plein et de la manière la plus noble dans la tâche que la légende vraie ou fausse leur assigne et que leurs détracteurs leur reprochent. Ils cherchent à modifier par l’éducation les âmes des classes supérieures de la société, et se mettent ainsi en mesure de diriger les dirigeants. Ils créent une élite. Mais laquelle ? Sur quel type ? pour quel objet ? Quel rôle lui assignent-ils dans le monde oriental de demain ?
Je ne m’en tiens pas à cette maison capitale de l’Université Saint-Joseph. Chaque jour, du matin au soir, à travers Beyrouth, je vais chez les Frères de la Doctrine Chrétienne, chez les Filles de la Charité, chez les Dames de Nazareth, chez les Sœurs de Saint-Joseph, et puis à la Mission laïque et chez les Israélites, c’est-à-dire dans tous les milieux soustraits au souffle ennemi des protestants américains.
Ces écoles où l’instruction varie, primaire, ou plus littéraire ou toute professionnelle, selon les besoins des enfants, enseignent à tous notre langue et l’amour de notre pays : à tous, c’est-à-dire, cette année, à sept ou huit mille garçons et filles. Ah ! les yeux ardents de ces jeunes Asiatiques, faciles, dans un tel âge, à la séduction de tout ce qui brille. Député de Paris, membre de l’Académie française, des titres mis en valeur par les plus généreux discours, des entrées au bruit de la Marseillaise, des drapeaux claquants, des vivats ! Je voyais des imaginations enivrées. Quand j’embrassais le plus petit, quel enthousiasme chez tous ! On voudrait employer de telles âmes soulevées. Mais la question revient : les employer à quoi ?
Danger de former une race de jeunes gens déclassés, déracinés, inoccupés, mécontents, et qui se lancent révolutionnairement dans des voies de réformes politiques, sociales et religieuses. Le diplômé, déjà si turbulent dans notre Occident, où trop souvent il hait la société de ne pas lui donner les places sur