Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 13.djvu/806

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le cercueil ouvert ?... Et, si le souvenir de la morte ne remplissait pas tout son cœur, quelles idées involontaires, quelles images envahissantes osaient troubler son deuil ?...

La suite des événements allait justifier bientôt ces questions indiscrètes.


Malgré son litre de demoiselle d’honneur, la princesse Dolgorouky s’était naturellement abstenue d’assister aux funérailles de sa souveraine ; elle était restée seule à Tsarskoïé-Sélo.

Depuis longtemps, Alexandre II ne lui avait plus reparlé de ses intentions matrimoniales. Mais elle le connaissait elle avait foi en lui ; elle était certaine que, tôt ou tard, après un juste délai de convenance, il l’épouserait.

Quand il revint auprès d’elle, le lendemain des obsèques, il ne fit aucune allusion à ce sujet délicat. Les jours suivants, il l’entretint plusieurs fois des multiples changements que la mort de la Tsarine l’obligerait à introduire dans l’organisation de sa cour et dans les habitudes de sa vie familiale. Pas un mot sur ce qui les concernait si intimement, l’un et l’autre.

Mais soudain, le 7 juillet, juste un mois après avoir porté sur ses épaules le cercueil de sa femme, il prit Catherine dans ses bras et lui dit avec une gravité simple :

— Le carême de Saint-Pierre va finir bientôt : ce sera le dimanche 18. J’ai décidé que, ce jour-là, je t’épouserai enfin devant Dieu.

Autocrate jusqu’aux moelles, Alexandre-Nicolaïéwitch s’était fait une règle de garder pour lui seul le travail préparatoire de ses volontés. Même avec ses serviteurs les plus intimes et les plus dévoués, il restait impénétrable. Non pas qu’il hésitât à les consulter, en cas de besoin ; mais, après avoir écouté leur conseil, il ne leur laissait rien voir du parti qu’il allait prendre C’est toujours sous la forme d’un ordre qu’on apprenait ses résolutions. Il agit de même, en cette circonstance. Ses plus fidèles amis, le comte Adlerberg et le général Ryléïew, ne furent prévenus que le 15 juillet ; l’archiprêtre du Palais d’hiver, le P. Nicolsky, ne fut averti qu’au dernier instant. Personne autre ne fut mis dans le secret.

Lorsque Adlerberg reçut la confidence, il en fut d’abord atterré.