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De tout ce qui se passait et s’élaborait à Livadia, l’opinion publique ne savait rien. Aussi recommençait-elle à s’énerver de ne voir s’accomplir aucune des réformes espérées. Chaque matin, elle croyait trouver, au moniteur officiel de l’Empire, une révélation bienfaisante, la formule magique, le remède inconnu qu’attendait la Russie. Et, chaque matin, c’était la même déception.

Dans les groupes dirigeants du parti libéral, on n’était pas seulement déçu. On s’irritait contre Loris-Mélikow : on lui reprochait avec amertume d’avoir laissé répandre, sous son nom, des promesses fallacieuses ; on l’accusait d’entretenir sa popularité par « une intolérable équivoque ; » on prononçait même le mot de « fourberie » et l’on allait jusqu’à se dire : « L’Arménien ne nous aurait-il pas tous roulés ? »

Ému de ces récriminations, le général résolut de les affronter hardiment. Il convoqua dans son cabinet les directeurs de tous les grands journaux et, d’un ton chaleureux, il leur affirma qu’il était décidé, plus que jamais, « à marcher d’accord avec une presse libre ; » mais, comme s’il les prenait pour juges, il leur exposa l’immense difficulté de sa tâche ; il les suppliait donc de prendre patience et surtout « de ne pas agiter stérilement l’esprit public en le nourrissant d’illusions fâcheuses. » Il termina par une esquisse de son programme politique. D’abord, il faciliterait l’activité des Zemstvos ; il leur donnerait tous les pouvoirs nécessaires « pour la bonne conduite des affaires locales et l’amélioration économique du pays. » Ensuite, il réformerait la police, « afin de rendre impossibles dans l’avenir les illégalités qui avaient pu se produire dans le passé. » Enfin, il organiserait de vastes enquêtes sénatoriales, « en vue de connaître exactement les vœux de la population et d’harmoniser les anciens règlements avec les besoins nouveaux. » L’exécution de ce programme n’exigerait pas moins de cinq ou six années. Pour l’instant, « il n’était aucunement question d’un appel à la nation, sous la forme d’assemblées représentatives à l’européenne, ou des Zemskyïé Sobory d’autrefois. » Tout ce qu’on avait publié à ce sujet, depuis quelques mois, n’était que « chimères et fantaisies. »

L’auditoire accueillit avec ahurissement ces déclarations