crainte. La France a la faiblesse d’aimer à plaire et le tort de le laisser voir : elle tombe ainsi dans une dépendance où l’on se fait un jeu de la maintenir, en lui marchandant des suffrages qu’elle n’aurait pas dû quémander.
Cependant l’instabilité des sentiments qu’elle inspire ne tient pas seulement aux hésitations de sa politique ; elle est liée en quelque sorte à la complexité de son génie, presque trop subtil pour l’entendement du commun des hommes. La place que tiennent dans le monde les autres nations y est exactement mesurée par la prospérité de leur industrie et l’activité de leur commerce : la France seule garde en beaucoup d’endroits un prestige idéal qui déborde son importance matérielle, et souvent elle connaît ainsi les embarras d’une grande dame, condamnée à garder un rang qu’elle a peine à soutenir. La figure des autres pays est bien plus simple : ils présentent toujours d’eux la même image ; ils n’ont qu’à repasser sans cesse sur les mêmes traits. Le visage de la France est autrement délicat : pour les uns, elle n’est que le pays des brillants plaisirs, tandis que d’autres savent qu’elle est celui des études sévères, des vertus discrètes. Certains ne voient encore en elle que la mère des révolutions, tandis que ceux qui connaissent mieux les hautes parties de son génie la saluent comme la véritable maîtresse de l’ordre. Mais lustre, lampe ou torche, son emblème est toujours lumière. A travers la différence des sentiments qu’elle fait naître, subsiste une aspiration commune : les hommes lui demandent d’apporter dans l’ordre matériel quelque chose qui le dépasse, mais ils lui en veulent parfois d’y réussir. La netteté même avec laquelle elle définit les questions, les rayons gênants qu’elle y plonge, tout cela rend certains arrangements moins faciles : elle force les peuples à prendre conscience de ce qu’ils font. Alors on voit ceux qui n’ont pour loi que leur intérêt, s’indigner si elle n’immole point tous les siens, et vouloir lui imposer un perpétuel sacrifice : il arrive que de pareils reproches la troublent, tant elle est naïve, tant il est aisé de l’enchaîner aux rôles sublimes. Ainsi elle attire et elle irrite tour à tour par sa différence. On ne lui pardonne pas d’échapper aux lois ordinaires, de contredire et de démentir les jugements des docteurs, de se sauver par des moyens qui lui sont propres, de sortir des jolis défauts où l’on avait cru la confiner, pour être soudain plus sérieuse que les plus austères, plus forte