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même que les plus forts. De là vient que ses revers, quand elle en éprouve, causent à tant d’étrangers une joie inavouable, mais qu’aussi il n’est pas au monde de cœur noble qui ne frissonne, quand on peut croire que va succomber celle qui n’est pas comme les autres.

Le rôle de la France est ainsi particulièrement difficile ; mais les peuples, comme les individus, ne trouvent de force réelle que dans l’approfondissement de leur caractère, et elle pourrait tirer du sien les éléments d’un prestige unique. Il y faudrait plusieurs conditions. Comme elle n’est pas seulement un pays à commerce et à industrie, pour qu’elle tienne dans le monde la place qui lui revient, il est non seulement nécessaire que ses intérêts soient défendus, mais que son génie soit rendu sensible. Dans les rendez-vous où tous les Gouvernements se retrouvent, nul autre pays n’a un tel besoin d’être représenté par des hommes supérieurs. Que ceux-ci se distinguent par l’étendue des connaissances, la profondeur des vues, la grâce et la politesse des mœurs, aussitôt ils rendent réelle l’image virtuelle de la France que les étrangers avaient déjà dans l’esprit. Mais qu’ils n’étalent que de grandes ignorances ou de petites habiletés, la France n’est même pas évoquée, sa vertu n’opère point, ne touche pas ceux qu’elle devait atteindre. Il n’est point de nation à laquelle il soit plus nécessaire d’avoir des doctrines. C’est là ce qu’on attend d’elle. Sur le navire où les passagers s’effrayent, où l’équipage même est inquiet, elle est le pilote qui doit savoir les étoiles. Alors que tant de peuples mêlent à un ombrageux désir d’indépendance celui de s’approcher de la culture occidentale, un instinct les avertit de se tourner vers notre pays. Ils cherchent des yeux la nation donatrice, la seule qui vive pour l’humanité, et dont l’influence sans menace puisse les aider à s’accomplir. Pour exercer ainsi toute son action, il faut d’abord que notre pays garde une puissance économique suffisante, qui lui serve de support : on ne pose pas un fronton par terre. Plus la France, d’autre part, fixera les traits de sa figure intellectuelle et morale, plus elle précisera les principes dont elle s’inspire, plus les ouvrages de l’esprit y prendront de hauteur et d’autorité, plus elle imposera sa grandeur au monde.