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dire par là que, si on traçait avec un compas idéal un cercle parfait de rayon donné par un trait de la graduation d’une règle parfaite, il serait impossible de tracer un carré d’aire égale dont le côté figurât un nombre déterminé des traits de la règle. Ils savaient très bien, comme nous le savons, que, si nous tentons de faire cette expérience avec des compas réels et des règles réelles, cette impossibilité n’existera pas parce qu’il arrive un moment où les défauts du compas, l’épaisseur même des traits qu’on trace ne permettent plus de trouver une différence observable entre l’aire du cercle et celle du carré. Mais ils savaient aussi, comme nous le savons, que, dans l’hypothèse d’un monde réel euclidien, cette différence, encore qu’inobservable à cause de la grossièreté de nos moyens, n’en était pas moins réelle, et qu’elle fût apparue à des yeux parfaits, à des observateurs munis d’instruments idéaux.

Après ce que nous avons vu, il n’en est plus de même. Puisque le rapport d’une circonférence à son diamètre est modifié au voisinage de la matière, il est clair qu’en se déplaçant par exemple à la surface de la terre et par rapport au soleil et à la lune, on modifie, d’une manière faible, mais réelle et continue, le rapport d’un cercle réel à son diamètre. Il s’en suit que ce rapport differe petit à petit de sa valeur euclidienne incommensurable, et par conséquent passe peu à peu par toute une série de valeurs qui, elles, sont commensurables, c’est-à-dire sont dans un rapport simple, ont une commune mesure. Il s’ensuit qu’il existe dans tout l’univers, et singulièrement à la surface de la terre, un grand nombre de circonstances de temps et de lieu où un observateur, même supposé muni d’instruments parfaits et traçant des lignes sans défaut, pourrait carrer rigoureusement avec la règle et le compas un cercle de rayon donné.

La quadrature du cercle est donc en fait résolue dans la Nature et par la Nature. Si nous avions des sens et des appareils parfaits, nous pourrions sans peine le vérifier. Faute de quoi, il nous suffira de l’avoir montré aux yeux immatériels de la raison. Dans un monde conforme à la géométrie euclidienne, la quadrature du cercle demeure impossible, même théoriquement. Dans l’univers réel où nous passons, c’est un problème tout résolu à la fois par la théorie et par la pratique.


Charles Nordmann.