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sur tout le passé de la Russie et qui, avec une cruauté inouïe, ont, en peu de temps, ruiné le travail de nombreuses générations, conduit leur pays aux pires humiliations, leur peuple au cannibalisme, et semé des tombes de leurs victimes toutes les routes et tous les champs de la Russie.

Les paroles de cet étranger peuvent provoquer involontairement la méfiance. La sincérité et l’impartialité de ses thèses et de ses conclusions peuvent engendrer le doute. On y verra la trace de souvenirs personnels, l’écho de souffrances récentes et d’une douleur profonde provoquée par la perte irréparable de son idéal, et, enfin, la tendance bien compréhensible à pousser le tableau au noir, à faire ressortir les côtés sombres et à méconnaître ce qu’il peut y avoir de bon à côté de la mer de sang versé et de l’océan de pleurs qui ne tarissent pas.

Aussi je tiens à déclarer à tous ceux qui me feront l’honneur de me lire, que l’intention d’assombrir pour des raisons personnelles le tableau de la vie russe actuelle, si difficile à comprendre pour ceux qui n’ont pas vu de leurs yeux toutes les horreurs que le peuple entier souffre depuis plus de cinq ans, — cette intention n’a pas guidé ma plume. Quant à l’avenir, je l’envisage avec un désintéressement absolu, parce qu’un homme ne doit pas faire effort pour se survivre, quand tout ce à quoi il était attaché est anéanti.

Un seul désir me guide : dire la vérité telle qu’elle m’apparaît d’après l’analyse impartiale de données certaines. Mon but unique est de mettre cette vérité sous les yeux de ceux qui veulent se renseigner, pour les préserver de fautes irréparables et de méprises dangereuses. J’espère ainsi rendre à ma patrie, que j’ai peu d’espoir de revoir, un dernier service, en montrant à quel point ont été profondes et imméritées ses souffrances, comment on peut lui venir en aide, ce qu’il faut éviter pour ne pas prolonger son agonie et comment y faire renaître, après tous ses malheurs indescriptibles, une vie normale.


AVANT LE COUP D’ÉTAT BOLCHÉVIQUE

On ne peut juger du présent de la Russie qu’à la lumière du passé. Faute de connaître la puissance économique de la Russie avant le coup d’Etat d’octobre 1917, et l’essor prodigieux des diverses branches de l’activité économique du pays pendant