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dans son mépris de la mort… Elle était cruelle à voir cette sérénité ailée dans la liberté de l’espace !

Et cette symphonie aérienne, ces éclosions magiques, cet éblouissement de l’azur formaient une magnificence altière dont l’impassibilité me surprenait et me faisait mal…

Nous avons une si prodigieuse idée de la miséricorde céleste que nous voudrions dans le malheur jusqu’à la pitié des choses,

De fulgurantes douleurs provenant de la moelle épinière me donnent tout à coup la conviction d’être couché sur un caillou pointu. La poitrine me brûle toujours. Du feu liquide couve sous mes tricots de laine, et près de la ceinture je sens couler dans ma chair comme du plomb fondu. Je voudrais arracher ce vêtement incendiaire tout imbibé encore d’essence et d’huile. Exaspéré par cette passivité qui attise mon supplice, je m’emporte de nouveau contre moi-même et décide une nouvelle tentative de déplacement. Et dans la rage sourde qui gronde en moi, je murmure entre mes dents : « Cette paralysie est une chimère ; je changerai au moins de positionne me retournerai, je me retournerai. » J’accroche de nouveau les ronces de la main gauche et m’agite jusqu’à déraciner un piquet. Le réseau pousse son cri rouillé. Une balle, deux balles claquent, et une fusillade flagelle les fils de fer, crépite, ricoche et miaule. Mais rompu de douleur, je retombe encore une fois sur le dos, la tête sonnante. Ce caillou est toujours là plus aigu qu’auparavant, et me donne maintenant la sensation d’être empalé sur les reins. Alors voyant que toute violence avive mes tourments, je me résigne à l’immobilité absolue.

« Je n’ai plus rien à faire, je n’ai plus qu’à attendre… Attendre quoi ?… la mort ?… Non, mon Dieu, je ne veux pas mourir : vous ne m’abandonnerez pas. Puisque mes pauvres ailes sont brisées, Dieu de bonté, planez sur moi.

« Gardez-moi comme la prunelle de l’œil.

« Sous l’ombre de vos ailes protégez-moi. »

Une bourrasque vient de tomber sur moi… à deux pas, le sol s’est crevé en rugissant et l’éruption brûlante m’a suffoqué. L’artillerie ennemie recommence. Toutes les trois minutes je me dis : « C’est lui ! » et dans une angoisse de mort j’écoute mugir le vol du monstre. Pendant près d’une heure, c’est là autour de moi le même écroulement de tonnerre, le même ouragan de