Permettez que nos petits-enfants parlent français. Faites une école. » Une autre lui succède : « Permettez que la prochaine fois je puisse vous saluer avec des mots français. »
Cependant, nous ne cessons pas de monter dans le Liban Aley dépassé, qui est une halte importante des caravanes, nous rejoignons la grande voie de Damas, pour atteindre Aïn-Sofar et le col le plus élevé. Odeur de résine, au milieu des rochers et des pins. Parfois, à l’horizon, entre les montagnes, la déesse apparaît, avec son sourire, son œil bleu et sa puissante volupté. O Méditerranée ! Puis le rideau se referme sur cette joie et cette jeunesse, et nous voilà de nouveau enfermés dans les chênes verts, les caroubiers, les aloès, au milieu des pierrailles, au-dessus des torrents profonds. Les landes arides succèdent aux champs d’oliviers, et les forêts de pins aux pâturages où fraîchit une fontaine, jusqu’à ce que nous retrouvions, dans ces solitudes grandioses, quelque paroisse et sa petite foule en délire. Je me rappelle un tournant prodigieux sur les précipices et, là derrière, soudain, le village placé en embuscade. Au milieu de tous, le curé qui fait le coup de feu. Ils s’apaisent et nous tendent l’éternel placet : « Nous désirons une école pour les filles. »
Ces arrêts multipliés ne nous laissaient guère avancer. Parfois même, un messager venait nous prier de ralentir encore notre marche, parce que son village n’était pas arrivé. On entendait des coups de feu dans le lointain, puis une petite foule apparaissait, nous apercevait ; à deux ou trois cents, hommes, femmes, enfants, ils dévalaient le long des pentes, se venaient ranger au-devant de notre cortège. « Des orphelins, disent-ils, se jettent aux pieds de la France. Des écoles ! donnez-nous des écoles ! »
De ce train, il était déjà deux heures, quand nous traversâmes le torrent de Ouadi Safa, où, pour nous faire honneur, dix moutons furent égorgés en un éclair, au passage de nos voitures, et roulèrent dans la poussière. Bêtes innocentes et malheureuses, s’il faut maintenant attendre que vous soyez dépecées et rôties, quand déjeunerons-nous ? Mais non. Voici Aïn-Zahalteh, le site classique des journées d’été, à plus de mille mètres, le seul endroit ombragé du pays, et de longues tables y sont dressées au-dessus du torrent, sous les arbres, dans le courant d’air. Un déjeuner tout à l’européenne nous y attend, que des voitures