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gauche, pour pénétrer dans la montagne par des déchirures profondes, au fond desquelles coulent des torrents, et nous montons les contreforts du Liban vers Aley.

Des hauteurs couronnées de pins parasols, des escaliers, des terrasses en jardins, un immense amphithéâtre aux teintes violettes, constellé çà et là de villages, de couvents, de chapelles. De loin, sur les pentes, on aperçoit les populations groupées à l’entrée des villages. Et quand nous arrivons, la fusillade éclate, tous les chants, toutes les frénésies. L’Orient mêle en notre honneur les rites du mariage et de la guerre. Le prodigieux, pour un novice, c’est, au milieu de ces coups de feu, les youyous des femmes, ce long ululement dont elles se gargarisent sur notre passage, en même temps qu’elles nous aspergent d’eau de rose.

Comment donner une idée de ce désordre joyeux et étincelant, de ce bruit, de cette turbulence ? Roulades aiguës des femmes, salves redoublées des hommes, sérieux des enfants qui, dans la fumée de la poudre, portent fièrement la baguette du fusil paternel. Et soudain, l’orateur paraît ! Partout de véhéments discours nous donnent l’esprit de ces démonstrations : « C’est à la France, grande nation émancipatrice, que les Libanais doivent leur statut, et c’est d’elle qu’ils attendent toutes les libertés. Enfants, ils ont reçu]cette espérance de leurs pères… » Ainsi parle chaque députation, et de nouveau en avant la poudre, l’eau de rose, les youyous…

N’avons-nous pas, dans nos pays basques, quelque chose d’analogue avec les Irrintcinas, ces cris de guerre aux intonations rudes et prolongées ? Le savant M. d’Abbadie avait institué des concours où il donnait des prix aux meilleurs crieurs : « Les irrintcinas, disait-il, peuvent faire vibrer dans une âme basque quelque noble sentiment, digne des vieux temps et de nos grands ancêtres. » Quels sentiments réveillent les ululements des femmes du Liban ? On croit entendre des provocations amoureuses pour quelque mariage, ou des excitations de mort adressées aux guerriers du pays. Aujourd’hui, sur notre passage, ce sont avant tout des réclamations scolaires. Tous ces villages, pour conclure leurs compliments de bienvenue, nous demandent d’ouvrir des écoles et de leur envoyer des maîtres.

Une vieille femme avec un enfant sur les bras me supplie. Elle est vêtue comme une madone d’Italie. « Que dit-elle ? —