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revue des deux mondes.

— Préférence. Qu’est-ce qu’une préférence ?… Donnez un exemple de votre préférence.

— Je préfère la France à l’Allemagne.

Exercice religieux. Par la fenêtre ouverte, dans la nuit qui descend, j’admire un ciel sublime et ces voix d’enfants récitant, dans une forme familière, les plus hauts principes de la philosophie catholique.

À la sortie, dans l’ombre, un petit garçon m’aborde et me questionne :

— Est-ce que je pourrai entrer à Saint-Cyr, être officier français ?

— Tu peux être maréchal de France.

— Il n’y en a plus.

— Avant que tu sois grand, il y en aura.

Au sérail, nombreux discours, tout pleins d’un ardent attachement à la France. Cependant que je les écoute, je vois par une petite fenêtre de côté « le champ des Martyrs, » surmonté d’une croix, l’étroite cour où furent massacrés en 1860 les Maronites qui s’y étaient réfugiés sans armes. Massacrés par les Druses, avec l’aide des soldats turcs. Plus de mille trois cents cadavres, rien que pour Deïr-el-Kamar. Cette extermination systématique d’un peuple, qui se dressa pour l’arrêter ? La France, en dépit de l’Angleterre, la France, depuis les Croisades, protectrice des chrétiens en Orient et particulièrement des Maronites. Après un demi-siècle, Deir-el-Kamar se souvient d’avoir vu arriver le général de Beaufort à la tête de nos troupes et suivi de nos religieux et de nos religieuses apportant les offrandes de la générosité française. Nous n’avons pas obligé des ingrats. Je m’en assure avec émerveillement, avec émotion, durant le charmant diner qui suit les visites d’écoles et les réceptions oratoires, diner émouvant, tapageur, plein de cœur. Ces notables avec qui je cause énumèrent sans fin les raisons de l’attachement qu’ils nous vouent. Ce sont les soldats français qui ont rebâti leurs maisons ; c’est avec l’argent que la France leur a fait verser par les Turcs, qu’ils ont créé leurs petits commerces ; leurs enfants sont élevés par les religieux français. Et tout cela se superposant aux légendes de saint Louis, de Louis XIV et de Bonaparte, et s’augmentant de leurs espérances ! Quel beau livre pour notre pays, l’histoire de l’imagination du Liban !