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Nous crûmes y distinguer Adonis qui lutte avec un ours, et puis une femme dans l’attitude de la douleur. Au pied est une citerne, un caveau, je ne sais quel sépulcre taillé dans le rocher.

Tout le site est charmant, agréable, italien. Des mûriers d’un vert intense, un petit bois de sombres cyprès, un promontoire qui s’avance, quelques pitons bleuâtres, dressés comme dans le fond d’un tableau lombard, et partout, sur cette campagne éblouissante, une odeur de miel qu’exhalent les genêts. Ah ! le beau sépulcre agreste du jeune chasseur ! Nul outrage, rien que l’usure des saisons et le plus prodigieux abandon. Cette vieille station d’un chemin de croix païen n’a guère dû changer ; mais les visiteurs ! Pour ma part, je me sens incapable de murmurer ici aucune sorte de prière.

Ennuyé de me sentir si morne, devant ce rare objet de ma curiosité, j’en brusque l’examen. Et nous voilà poussant nos chevaux et nos mules, aussi vite qu’ils peuvent aller, dans cet océan de pierrailles qui roulent sur d’épouvantables rochers. Quelque cent mètres, et nous sommes sortis d’Italie pour trouver, dans un cirque immense, une série d’escaliers extraordinaires, où il est ahurissant que notre cavalerie puisse se tenir debout. Je vous épargne la description de nos difficultés. Enfin nous rejoignons, sous de grandes vapeurs du plus bel effet, la vaste vallée du Nahr-el-Kebir. Superbes précipices, que nous contournons ! Je songe à Renan qui parcourut ces « épouvantables routes de la montagne, au milieu desquelles, dit-il, mille fois le cœur me faiblit en voyant ma sœur vaciller au-dessus des précipices. » Mais de tels sites valent tous les efforts, car nous foulons les territoires sacrés de la chasse au dieu. C’est ici que les bacchants montaient du rivage et couraient aux bords glissants de ces précipices, où plus d’un sûrement se brisa. Ce risque ajoutait à leur excitation. Il s’agissait pour eux, hommes et femmes, d’entrer dans un état extatique. Ils alternaient la musique, les danses, les gémissements, la procession solennelle, et bientôt, lancés comme des chiens à la poursuite du dieu, pour le saisir et prendre son contact, ils aspiraient à se délivrer de leur humanité. Fracas des cymbales, gémissement aigu des flûtes, irritation de tous les sens, démence torrentielle du cortège qui danse et qui hurle, et puis, les ténèbres venues, plaisir sombre à la lueur des torches… C’est ainsi qu’ils s’efforcent