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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/246

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de se transfigurer en une âme divine. Mais je ne suis pas fait pour peindre ces orages, et j’attends que j’y puisse percevoir le souffle de l’esprit. J’attends la suprême station du cortège, le temple élevé au culte de ces délires.

Le parcours est long. De Byblos aux ruines d’Afaka, les paysans mettent sept heures pour remonter la gorge effroyable où glisse la rivière, une gorge toute noire qui, en un rien de temps, de cascade en cascade, s’élève de douze cents mètres. Je crois que très peu de personnes pouvaient suivre d’un bout à l’autre le cortège rituel et danser, crier, faire la débauche en route. À mon avis, les fidèles venaient se poster à l’une ou l’autre des stations traditionnelles, par exemple sous le bas-relief de Ghiné, et quand ils voyaient passer la horde sacrée des joueurs de flûtes et de cymbales, des hurleurs, des danseurs et des échevelées entourant leurs prêtres, qui, demi nus, se tailladaient le corps à coups de coutelas, beaucoup pris de frénésie entraient, pour un bout de chemin, dans la sarabande orgiaque. Il pouvait y avoir ainsi des cérémonies successives et des relèves d’équipe, auprès des divers tombeaux, et seule une petite troupe d’enragés, portés par la fièvre, accomplissait tout le parcours.

Pour nous, montés à cheval, à Ghazir, vers les neuf heures du matin, nous arrivâmes vers cinq heures en vue de Lessaf. Là, sous d’admirables noyers séculaires, des messagers, postés par l’évêque de cette misérable bourgade, nous attendaient pour nous offrir en son nom l’hospitalité. Et comme nous préférions poursuivre notre route et aller dresser nos tentes auprès du temple, ils voulurent du moins nous remettre des provisions pour notre diner.

À ce moment, nous nous croyions arrivés. Il nous fallut encore nous enfoncer dans la gorge et marcher trois quarts d’heure, avant d’atteindre les sources.

Enfin les voici ! Quel émerveillement grandiose ! Voici l’amphithéâtre fameux, la masse d’eau qui s’échappe de la haute grotte, le mur circulaire, les immenses rochers. Imaginez une combinaison du cirque de Gavarnie et de la fontaine de Vaucluse, avec l’éboulement pathétique d’un temple. C’est un lieu religieux. Les proportions en sont admirables. Un homme et un âne, qui franchissent une arche jetée à mi-chemin de la cascade, et qui me semblent d’abord tout proches, à la réflexion, me révèlent, par leur taille minuscule, le gigantesque de cet amphithéâtre.