Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/264

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

serait-il convenable de mettre la conversation avec les prélats sur ces vierges folles ? Non ! tout le temps du déjeuner, nous nous en tiendrons de préférence à la politique et à Raymond Poincaré.

Mgr Hoyeck et ses familiers surveillent avec le plus vif intérêt les dispositions de la France. Ils ne s’égarent pas en vaines curiosités : ils les apprécient par rapport au Grand Liban. Et sur ce sujet, des paroles énergiques les inquiètent, presque autant qu’elles les satisfont. Ils voudraient être assurés qu’elles seront suivies d’actions également énergiques, « car, disent-ils, vous comprenez qu’elles indisposent contre nous les autres. »

Toujours ce fond de peur (et trop justifié) qu’il y a ici dans tous les esprits ! Toujours ce regard jeté vers la mer, avec le désir ardent d’y voir nos bateaux !

Dans le divan, où nous allons au sortir de table, vaste salon tout baigné et pénétré d’air salin, cette douzaine de prélats, aux grandes barbes étalées sur des croix d’or et des costumes éclatants, formaient une cour somptueuse et romantique, qu’il eût fallu qu’un Delacroix peignit. Lui seul saurait rendre ces éclairs joyeux de fantaisie dans une atmosphère de terreur, ce feu d’artifice léger et coloré sur un fond dramatique.

Il y a bien de l’élégance spirituelle chez tous ces prélats, et décidément, si courte que soit mon expérience, à voir ces Libanais enthousiastes, légers, pleins d’esprit, je crains d’avoir trop pris au tragique même leurs bacchantes. De plus en plus, j’arrive à l’idée d’un peuple aimable, émotif, rapide à saisir les aspects comiques des choses, et, si j’ose dire, à prendre le rythme qu’on leur propose. Le Vieux Patriarche lui-même, dans son grand âge, une fois les premières contraintes du cérémonial écartées, comme il est bondissant d’esprit et de geste ! Que j’aime une âme ainsi demeurée vive, jaillissante, rapide, allègre, et qui semble du milieu de ses ruines attester son immortalité ! Qu’il est plaisant, ce prélat, chargé d’honneurs et de soucis, nullement écrasé par cette antique tradition du Mont Liban, et qui nous expose avec une innocente véhémence ses inquiétudes, ses amitiés, ses désirs ! Il aime son peuple, dont il est le père, le pontife et le roi ; il ne passe pas une minute sans soigner, avec tout son cœur et toute sa finesse, les intérêts de son beau domaine matériel et spirituel. Comme