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il nous aime, mais comme il entend que son amitié lui profite ! Comme il se réjouit de nos témoignages, mais qu’il serait fâché qu’ils le compromissent ! Comme il est justement jaloux de ses prérogatives, héritées d’une longue suite de chefs !

— Les Français, me dit-il, se succèdent à notre table patriarcale.

Et tous de sourire ! Ces messieurs sont encore sous le coup de la visite assez accidentée qu’il y a peu vient de leur faire un de nos plus retentissants compatriotes. Après le déjeuner, et comme un photographe allait fixer une image de cette audience mémorable, notre compatriote, soudain, a pris sous l’appareil une attitude désinvolte et narquoise qui, propre à apaiser ceux qui pouvaient se scandaliser de le voir dans une compagnie si cléricale, était encore plus capable de blesser ses hôtes…

En revanche, tout Békerké garde la plus profonde satisfaction de la mission que vient de remplir au Liban la flotte française. Après avoir reçu l’amiral, le Patriarche lui a rendu visite à son bord dans la baie de Djouni. Belle cérémonie sous les yeux grands ouverts de tout le Liban, et dont les détails devaient prendre une valeur symbolique, indéfiniment commentée par l’imagination orientale, car, au cours de cette heureuse journée, Sa Béatitude laissa glisser son anneau patriarcal à la mer. Et que firent nos marins ? Ils se cotisèrent pour offrir au patriarche un autre anneau, où le contre-amiral Lacaze voulut enchâsser un beau saphir, conservé dans sa famille depuis deux cents ans.

Mgr Hoyeck me fait admirer ce bijou qu’il porte à son doigt : sur le saphir, entouré de quatre brillants, nos officiers ont fait graver une croix et une ancre (l’Église et la flotte), et la date de leur visite à Békerké. Une lettre d’un ton charmant accompagnait ce joyau, que mes hôtes veulent que je lise. Elle est datée du Mirabeau, 23 mars 1914. L’amiral Lacaze rappelle que l’anneau perdu était un cadeau de la France. C’est encore un anneau français que Sa Béatitude portera, et offert par les marins, car c’est bien à eux de rendre ce que la mer a pris. Le bon peuple maronite célèbre, cette année, les noces épiscopales de son vénérable Patriarche ; eh bien ! que sa Béatitude agrée ce don, comme un gage de la participation de la flotte française à son jubilé.

Joli goût français ! art charmant de se faire aimer !

Depuis le matin, par les fenêtres ouvertes de Békerké, je