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une enquête aux pays du levant.

À mon tour, je leur explique notre anticléricalisme : comme quoi, depuis la Révolution française, les adorateurs du progrès croient trouver un obstacle dans la vieille religion chrétienne Mais la jeunesse n’en est plus à ces nuées, et tout s’arrangera bientôt.

— Chez nous, c’est tout arrangé. Vos religieux et religieuses nous donnent le progrès.

Au soir, les Sœurs viennent me voir. L’une est de la Lozère, une Française de teint coloré, bonne ménagère. Elle se plaint qu’à Deïr-el-Kamar « on ne peut rien se procurer. » Cette expression des petites villes françaises, retrouvée dans le Liban, m’enchante. L’autre, la petite, gaie, rieuse, est de la Vendée. Toutes deux se plaisent ici. En automne, on a la brise de mer. Il n’y a de mauvais que les jours de sirocco. Elles rient des mésaventures que leur valut d’abord leur ignorance de l’arabe.

— Quand je suis arrivée, me raconte la sœur vendéenne, on m’a mise à la classe des toutes petites. Je ne savais pas un mot d’arabe, ni elles de français. On ne pouvait que rire ensemble. Un jour, j’ai voulu dire à mes petites filles : « Taisez-vous. » J’ai employé le mot qui veut dire : « Sortez ! » Elles sont toutes parties. Je disais : « Mon Dieu ! qu’est-ce qu’elles ont ces petites-là ? » Dieu ! comme je me faisais de l’ennui ! J’en ris encore souvent, toute seule.

En se retirant, elles me disent :

— Vous saluerez pour nous la France.

Le lendemain, même journée charmante, un peu dépaysée, mais non pas solitaire, certes ! Jadis, avant les Facultés françaises de Beyrouth et du Caire, j’aurais été soigné ici, ma bonne fortune aidant, par quelques-uns de ces médecins arabes, marocains le plus souvent, qui parcouraient le pays en criant :« Voici le médecin, celui qui guérit de tout ! » On se réunissait autour de lui, sur la place, dans les villes. Il procédait le plus souvent par les scarifiants. Souffriez-vous de l’estomac ? Il vous appliquait un fer rouge sur le ventre. D’un rhumatisme ? Bien vite un cautère. Ne riez pas. Ces médecins faisaient boire des infusions de digitale, quand nous donnons aujourd’hui la digitaline, et ils donnaient le simple où nous donnons l’extrait. La médecine arabe se rapproche de la médecine française, bien plus que de l’américaine. C’est mon hôte, le docteur, qui me raconte ces