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entendu, à ces nouvelles, autour de lui une explosion d’abord de stupeur et bientôt de colère ! Ah ! messieurs les ministres, il faut que vous lui rendiez grâce à ce généreux pays. Il vous a sauvés de vous-mêmes ! » Et l’émouvante, l’éloquente péroraison, d’une concision tout attique. « Je supplie la Chambre de réfléchir. L’histoire la regarde, celle de demain, cachée dans l’obscurité du présent, celle d’hier, debout dans le deuil du passé, et celle-là vous crie, avec des mots terribles, de quelle responsabilité se chargent les Assemblées quand, aux heures critiques, au lieu d’exiger toute la vérité, elles obéissent aux sommations d’un pouvoir aveuglé. » Je me souviens de l’ovation formidable et prolongée qui accueillit ces belles paroles. La thèse de M. de Mun, d’ailleurs hasardeuse sur quelques points, fut vaincue. Mais le talent de l’orateur, supérieur à lui-même, força l’admiration, qui fut unanime.


Ce chef-d’œuvre fut son dernier discours. Pendant les trois années qui lui restaient à vivre, M. de Mun n’aborda plus la tribune. J’ai dit que la plume lui restait. Elle fut pendant les neuf premières semaines de la guerre son arme quotidienne de combat. Cette guerre, il l’avait prévue dans son dernier discours. « Je ne fais pas des rêves lointains d’équilibre général, encore moins de paix universelle. Je regarde les faits, l’état présent de l’Europe. A aucun moment, depuis quarante ans, il ne m’a paru, de l’Orient à l’Occident, plus troublé et plus menaçant. » Mais il avait prévu aussi que l’union nationale serait la condition nécessaire de la Défense Nationale. En 1912, sans rien abdiquer des « imprescriptibles revendications » des catholiques, il disait : « Dans cette lutte où les réduisent d’injustes attaques, ils gardent les yeux sans cesse fixés sur le drapeau, prêts à courir à lui dès qu’il est menacé, comme, sur le plateau du Mans, les volontaires de l’Ouest se serraient à son appel héroïque, derrière Gougeard, le soldat républicain. »

Ce fut l’honneur de la République, en 1914, d’appeler autour du drapeau toute la France. M. de Mun répondit à cet appel, ou, plutôt, il l’avait devancé. Mais il avait soixante-treize ans et son bras vieilli ne pouvait plus tenir l’épée. Il s’assigna alors pour tâche de noter, dans la terrible partie qu’il