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attendait depuis quarante-quatre ans, les battements du cœur de la France et, sans autre mandat que celui de son patriotisme ardent et désintéressé, il se fit le ministre de la confiance nationale. Il l’avait, cette confiance, chevillée dans l’âme, et rien ne put, pendant deux mois, rien, ni les défaites, ni les déceptions, ni les cruelles incertitudes, en briser l’élan ou en altérer l’optimisme. M. de Mun était un croyant de la victoire. Il ne pouvait pas, il ne voulait pas, accepter l’idée d’une France vaincue pour la seconde fois et dont la défaite aurait, cette fois, consommé la déchéance. Il évoquait l’histoire pour donner aux événements leur portée réelle, pour triompher des apparences passagères, pour subordonner les détails à l’ensemble, pour apaiser l’angoisse qui risquait d’envahir, d’amollir, de déprimer les âmes. Son journal était une tribune, d’où il parlait à la France. On attendait avec impatience ses articles enflammés, dont Paul Deschanel a dit qu’ils tenaient à la fois de l’hymne guerrier et de la prière ; on les lisait avec passion ; on les commentait avec gratitude. Tous les jours, il répandait la manne consolatrice et bienfaisante. Son éloquence, parce qu’elle était sincère, se moquait de l’éloquence. Mais elle exhalait des accents magnifiques où tout son être se donnait. La victoire de la Marne, dont il disait prophétiquement que « elle était sans doute plus grande que nous ne la mesurions nous-mêmes, » lui arracha un cri d’enthousiasme et de foi. Si elle ne réalisa pas tout de suite les espérances qu’il y attachait, il ne fut pas découragé et il comprit que cette partie, où l’Allemagne jouait sa vie comme nous la nôtre, ne se réglerait pas en un jour ni en une bataille. Il vécut assez pourvoir dans ses commencements la guerre des tranchées qui justifiait cette opinion et reculait la réalisation de son rêve patriotique.

II disait toujours, parce qu’il le croyait, que le succès récompenserait nos efforts et nos sacrifices, mais il ajoutait : « Si la guerre dure deux ans, je ne verrai pas la victoire. » Il n’en vit que l’aurore. Entre sa mort et la victoire, il s’écoula quatre années terribles pendant lesquelles la France s’obstina à ne pas mourir. Malade et se sachant perdu, M. de Mun poursuivait à Bordeaux, avec une sérénité souriante, la noble tâche que lui avait assignée son poste de combat. Il ne limitait pas son devoir à son journal ; il visitait les hôpitaux, où, dissimulant ses propres souffrances, il consolait avec une douceur fraternelle les