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FUSTEL DE COULANGES
ET LE TEMPS PRÉSENT

I. — FUSTEL DE COULANGES ET L’HISTOIRE MODERNE

Dans mon livre, l’Histoire et les Historiens, j’ai essayé de déterminer la mission de l’histoire : cette mission consiste à recueillir les fruits de l’expérience des âges et à transmettre, des générations aux générations, l’acquis de l’humanité. J’ai considéré surtout, à ce point de vue, les historiens anciens : étant plus près des origines, leur rôle se caractérise plus nettement ; on voit sans peine que, par eux, les fils flottants encore de la civilisation primitive ont été rassemblés, que, par eux, la trame a été mise sur le métier et qu’ils ont donné une première forme et un premier dessin aux mœurs, aux règles, aux lois, en un mot à la « tradition. »

J’hésitais, je l’avoue, avant d’en venir aux historiens modernes. Ils sont si nombreux ! Ils ont tant produit ! Ils ont travaillé en ordre si dispersé ! Comment arriver à dégager la loi commune de leur innombrable effort ? N’ayant pas, en général, raconté l’histoire de leur temps, ils n’ont pas été en contact direct avec les faits qu’ils exposent ; ils écrivent, comme on dit, de seconde main. Leur connaissance étant moins assurée, leur enseignement est plus discutable ; trop souvent, ils se laissent emporter par la passion, entraîner par le prestige de l’art ; un rien les amuse ; ils s’attardent au détail ; et puis, l’instrument de leur science, l’érudition, est d’un poids si lourd ! Ils se copient les uns les autres ; leurs narrations et leurs conclusions se répètent jusqu’à la satiété. Si peu d’entre eux sont originaux, si peu avisés ou pénétrants ! Quelques-uns, il est vrai, sortent du