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rang et atteignent les sommets. Mais, ceux-là même, ne sont-ils pas des joueurs de flûte, d’illustres amuseurs ? Se sont-ils soumis à la sévère discipline de l’historien ? Ont-ils assumé les graves responsabilités de l’histoire ?

J’hésitais donc.

Mais, voici que la plus forte de toutes les leçons d’histoire nous est donnée par le spectacle des événements auxquels nous assistons. Et, justement, ces événements ont été l’objet d’une vision, en quelque sorte prophétique, de la part d’un grand historien moderne, Fustel de Coulanges [1]. Cet historien nous avait avertis ; il avait signalé d’avance le complot, non seulement politique et militaire, mais intellectuel, monté contre la paix du monde. On ne l’avait guère écouté : l’histoire, du moins, n’avait pas failli à sa tâche ; l’histoire moderne elle-même avait rempli sa mission.

Et d’ailleurs, comment négliger, de notre temps, les leçons de l’histoire ? Nous assistons à la ruine dénombré d’anciennes traditions ; les institutions, filles du passé, sont ébranlées : dynasties, aristocraties, familles, héritages. L’histoire écrite restera seule, bientôt, pour rattacher entre elles les générations. D’autre part, la connaissance des origines, de la race, du milieu, apparaît comme la condition essentielle de l’art politique et du progrès social. La lutte engagée entre le nationalisme et l’internationalisme, entre la famille et l’individu et, dans la famille même, entre les sexes qui la fondent, en un mot, le grand drame des solidarités et des hostilités humaines, rend indispensable, plus que jamais, la connaissance des expériences accumulées.

L’histoire reste donc la maîtresse des hommes. Elle donne leur direction aux âges futurs.

N’est-il pas évident, par exemple, que le débat historique engagé sur les origines de la guerre récente peut décider de l’avenir de l’Europe : selon que les esprits s’accorderont ou se sépareront sur cette question, l’apaisement se fera ou la lutte continuera. Toutes les possibilités sont contenues dans cette enquête relative à un passé si proche. L’avenir de l’Europe

  1. La Cité antique. In-8° Hachette, 1890. — Histoire des Institutions politiques de l’ancienne France. Revu et complété sur le manuscrit et d’après les notes de l’auteur, par M. Camille Jullian, membre de l’Institut. 5 vol. in-8o, 5e édition, 1922. Paris, Hachette et Cie.