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la matinée. Il désirait voir M. Dumon. Je promis à mon père d’aller le joindre à midi pour me rendre avec lui à la Chambre.

« Etant donc sorti à onze heures, j’entendis sur la place de la Madeleine un grand bruit. C’était la loge du commissaire des fiacres que l’on renversait pour en faire une barricade. On ne voyait qu’hommes du peuple, armés de baïonnettes ou de sabres, de pistolets ou de fusils qu’ils déchargeaient comme signe de réjouissance en poussant des cris. Pour me rendre au ministère des Finances, je pris la rue Neuve de Luxembourg [1] où je rencontrai M. Montanier [2] et M. Chappuis [3] qui m’apprirent que le poste du ministère avait été envahi. M. Chappuis venait de chercher une compagnie de garde nationale pour lui faire reprendre ce poste et sauvegarder le ministère. Je continuai mon chemin, mais ne pus entrer aux Finances par la porte de la rue de Castiglione, et n’y fus introduit que par celle de la rue de Rivoli. Ayant trouvé son cabinet fermé à clef, je présumai que mon père était rentré à la maison. Je me dirigeai donc vers la place de la Concorde, désireux de savoir ce qui s’y passait.

« J’aperçus là M. de Rémusat et M. Duvergier de Hauranne, et les abordai. « Le Roi, me dit l’un d’eux, vient d’abdiquer en faveur du Comte de Paris et l’a fait avec dignité. Nous venons d’assister à cette abdication. Barrot est chargé de former un cabinet ; il faut annoncer partout cette nouvelle, afin de calmer les esprits. — Et nous devons tous nous unir sincèrement autour de cette jeune royauté, répondis-je, et éviter entre nous des récriminations fâcheuses. »

— « C’est bien notre avis, » ajoutèrent-ils.

« Nous prîmes ensemble la rue Royale jusqu’à la rue Saint-Honoré et plusieurs fois M. Duvergier s’arrêta devant des groupes pour publier la nouvelle de l’abdication du Roi. « Vous ne nous trompez point, n’est-ce pas, lui demanda-t-on dans un de ces groupes, et c’est bien la Duchesse d’Orléans qui aura la régence et non pas Nemours. » Sur la réponse affirmative de M. Duvergier, des bravos éclatèrent. Alors un jeune homme, s’adressant à ses camarades, leur dit : « C’est M. Duvergier de Hauranne qui

  1. Rue Neuve de Luxembourg, aujourd’hui rue Cambon.
  2. M. Montanier, directeur général du Mouvement des fonds.
  3. M. Chappuis, sous-directeur du Mouvement des fonds.