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nous parle, c’est un ami du peuple, » puis se tournant vers mon collègue, ajouta : « Combien le pays ne vous doit-il pas de reconnaissance ? »


« J’appris, à la maison, que mon père n’était point rentré, et je ressortis aussitôt pour aller à la Chambre. Au coin de la place de la Concorde et de la rue de Rivoli, je rencontrai en uniforme de garde national à cheval Legrand de Villers [1]. Il m’apprit le départ du Roi qu’il n’avait pu accompagner que durant quelques instants. A quelques pas de là je remarquai le général de Salles, en tenue et à cheval, entouré de gens de conditions diverses avec lesquels il causait. Le maréchal Sébastiani se promenait également sur la place, appuyé au bras du duc de Guiche [2]. Je continuai mon chemin quand j’entendis derrière moi un grand tumulte. Me retournant, je vis M. Odilon Barrot qui, avec M. Gustave de Beaumont [3] et M. Abbatucci [4], se rendait au ministère de l’Intérieur, escorté d’une foule considérable criant : « Vive Odilon Barrot ! » M. Barrot, la tête nue, saluant à droite et à gauche, paraissait fort animé et marchait avec une grande précipitation.

« J’arrivai sur le quai au moment où y défilait un régiment de cavalerie. Je n’oublierai jamais qu’à la tête de ce régiment paradait, monté sur un gros cheval, un gamin de quatorze à quinze ans, armé jusqu’aux dents, coiffé d’un chapeau rond à larges bords et singeant le colonel.

« En entrant dans le salon de la Paix, j’y trouvai M. Thiers, fort pâle, entouré de quelques-uns de ses amis. « Nous n’avons plus rien à faire ici, leur dit-il, je m’en vais. » Effectivement, il s’en alla. Bientôt après, un grand tumulte se produisit du côté de la salle des Pas-Perdus. Nous crûmes que c’était la populace qui voulait envahir la Chambre, mais au même instant nous entendîmes ces mots : « Ouvrez le salon du Roi. »

« Je m’approchai et je vis Mme la Duchesse d’Orléans avec ses deux enfants. Précédée de M. de L’Espée, elle était au

  1. M. Legrand de Villers fut plus tard trésorier-payeur général.
  2. Le duc de Guiche avait été, sous les ordres du maréchal Sebastiani, attaché à l’ambassade de France à Londres. Devenu duc de Gramont, il était ministre des Affaires étrangères en 1870.
  3. M. Gustave de Beaumont, député de la Sarthe.
  4. M. Abbatucci, député du Loiret.