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Mais c’est alors, et quand il veut savoir, que se détermine en lui la faculté magistrale, celle qui domptera immédiatement le romantisme ambiant : l’exactitude, — l’exactitude poussée jusqu’au scrupule, que dis-je ! jusqu’à l’angoisse. Son imagination l’ayant éveillé, il s’est élancé ; mais sa conscience le retient. Il deviendra ainsi l’esclave volontaire et, si j’ose dire, « l’enfermé, » non pas de sa curiosité, mais de sa véracité.

Méthode souveraine et faite uniquement de franchise et de domination de soi ; intelligence de clarté qui ne veut ni se laisser aveugler, ni se laisser éblouir et qui regarderait le soleil en face pour y découvrir la vérité. « Pas de parti pris, » « pas de doctrine, » répète sans cesse Fustel de Coulanges : « On croit regarder un objet et c’est sa propre idée que l’on regarde. On croit lire un texte et les phrases de ce texte prennent une signification particulière suivant l’opinion antérieure que l’on s’était faite. »

Ainsi, conscience c’est méfiance, — méfiance des autres, méfiance de soi. Le « texte » devient l’obsession de cet homme qui pense, qui aime, et qui se donne, — l’un des plus passionnés qu’aient connus les lettres. On l’en plaisante ; mais, lui, n’entend pas ; que sont des plaisanteries ? Il est tout à son tourment. Si l’historien qui veut connaître les événements du passé ne s’appuie pas sur les « textes, » de quoi donc sera faite sa science ? Sévère réponse de cette âme candide aux critiques superficiels qui croient se tirer d’affaire en riant.

Fustel de Coulanges n’est-il donc que « l’homme des textes ? » S’en tiendra-t-il à cette élaboration obstinée du témoignage écrit ? Scrutera-t-il pour le plaisir de scruter ?… Voici que l’historien se dégage de l’érudit. Comment ? En introduisant dans sa recherche la notion historique par excellence, l’idée du temps. Il n’y a d’histoire que des générations. Un témoignage ne prouve que s’il est rapproché d’une quantité d’autres témoignages qui se succèdent et se complètent comme s’est développée la vie elle-même : « Les institutions politiques ne sont jamais l’œuvre de la volonté d’un homme ; la volonté même de tout un peuple ne suffit pas à les créer. Les faits humains qui les engendrent ne sont pas de ceux-que le caprice d’une génération puisse changer. Les peuples ne sont pas gouvernés suivant qu’il leur plaît de l’être, mais suivant que l’ensemble de leurs intérêts et le fond de leurs opinions exigent qu’ils le