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accourent, joyeux, et nous offrent leur déjeuner. Nous y joignons le nôtre, et nous voilà attablés dans une grande cellule d’où l’on voit la mer.

Le Père supérieur est de la Limagne.

— Le plus beau verger du monde, mon Père !

— Le Patriarche maronite m’a remercié d’apprendre l’horticulture aux paysans.

— Vous vous plaisez ici ?

— Nous sommes heureux, on nous aime.

Et ils me racontent leur aventure.

— En mai 1903, nous avons été expulsés de Varennes-sur-Allier, qui est notre maison provinciale du centre. Un grand nombre de novices et de scolastiques durent rentrer dans leurs familles. Une quarantaine, plus courageux, nous suivirent en Orient. Leur formation pédagogique à peine achevée, ici même, ils furent employés aux écoles que, de toutes parts, on nous presse d’ouvrir. Malheureusement, les recrues de nationalité française que peuvent nous fournir nos noviciats d’Italie ne suffisent pas pour combler les vides que creusent chez nous la mort, la maladie, le service militaire et parfois, la nostalgie. C’est ainsi que nous avons dû abandonner dans le Liban, Miche-Miche, Saint-Jean Maran, Bèchebad, Hadeth, Bikfaia, Baskinta, Achkouth, et ailleurs, Homs, Mersine, Tarsous. Cette année, nous avons pu faire des fondations à Mossoul, à Alep, à Damas, mais des demandes pressantes, dans le Liban, de Bikfaia et de Baskinta, de Hadeth Montagne, de Cartébra, de Salima, et plus loin de Bassora, Mardine, Orfa, Mersine, Naplouse, Césarée, etc., nous les écartons, nous les ajournons. Pourquoi ? Toujours pour la même raison : parce que nous manquons de sujets, du fait des lois de 1901 et de 1904, et nos ajournements sont d’autant plus malheureux qu’à notre place et au détriment de la France, ce sont des Américains, des Italiens, des Belges, parfois des Allemands qui s’installent.

— Eh bien ! mes Pères, je suis venu ici, aujourd’hui, pour recueillir vos plaintes et tâcher d’éclairer l’opinion française, et puis aussi, ne vous scandalisez pas, pour visiter le tombeau d’Henriette Renan.

— Ah ! oui, me disent-ils, la fille ? la sœur ? la petite-fille de Renan ?

Ils ne savent pas trop et s’en excusent, mais cette dame