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RICHELIEU
A-T-IL PERSÉCUTÉ CORNEILLE ?

L’histoire littéraire conte que Corneille ayant fait représenter le Cid vers la fin de 1636, ou le début de 1637, avec « l’éclat et l’applaudissement » que l’on sait, le cardinal de Richelieu éprouva de ce succès une jalousie extrême et, par vengeance, persécuta, de façon acharnée, le trop heureux auteur.

Qu’un illustre homme d’Etat, quinquagénaire, cardinal, duc et pair, et dont « les exploits remplissaient le monde, » ait pu s’abuser d’être jaloux d’un jeune homme de trente ans faisant réussir une pièce de théâtre, il y a là de quoi surprendre à la réflexion. D’autre part, qu’un grand politique auquel on s’accorde à reconnaître du « génie, » — ce qui, en l’espèce, suppose équilibre d’esprit et jugement, — se soit, durant des mois, distrait de préoccupations politiques très graves pour manifester un sentiment médiocre par des tracasseries prolongées, c’est ce qui ne s’accorde guère avec l’idée que les historiens, étudiant directement les textes, peuvent se faire du caractère de Richelieu. Michelet, Ed. Fournier, Guizot, les deux Dumas, inquiets, ont préféré croire que Richelieu avait été choqué de voir exalter dans le Cid les Espagnols, ennemis du moment, et le duel, condamné par les édits. Mais, on l’a déjà remarqué, les œuvres qui parlent favorablement des Espagnols ou du duel à cette date sont nombreuses, et le cardinal avait un moyen plus simple de parer au danger, si danger il y avait, c’était d’interdire la pièce ou de ne pas en autoriser l’impression. Il ne l’a pas fait. La question demeure donc entière. Richelieu a été un des ministres les plus impopulaires de l’ancien régime. On l’a accusé de tous les crimes et de toutes les sottises. Il sera permis