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à la critique historique familiarisée avec les faits du temps et qui dispose aujourd’hui des papiers du cardinal, d’apporter sa contribution à l’examen plus approfondi du problème.


RICHELIEU ET LE THÉATRE

Richelieu est un grand seigneur. Ceux qui l’approchent reconnaissent qu’il reçoit avec une affabilité charmante, mais aussi une dignité, ou, comme ils écrivent, une « majesté » qui intimide et éloigne tout le monde. Le cardinal passe pour distant. Il y a d’autres raisons pour qu’on ne le voie pas : il est extraordinairement absorbé par les affaires ; son labeur est immense : il travaille souvent la nuit vers deux heures, trois heures du matin. On trouve à chaque pas dans les dépêches des ambassadeurs étrangers des phrases comme celle-ci, du 2 décembre 1636 : « M. le cardinal étant très occupé par les affaires courantes m’a fait dire de l’excuser en grâce si je ne pouvais pas le voir. »

Puis il est malade. Il est en proie à des troubles nerveux, maux de tête, dépressions, faiblesses irritables : c’est un neurasthénique. Alors il s’isole. Il n’habite pas Paris, tellement le « tintamarre, » comme il dit, des rues l’obsède : il vit à la campagne, à Rueil. S’il doit se rapprocher du Louvre, il loge dans des endroits qui sont, à cette date, hors la ville : Chaillot, Çharonne. Il s’absente de la région parisienne tous les ans six à sept mois. Ainsi la difficulté de l’atteindre, jointe à l’horreur qu’il a d’être importuné par des fâcheux et à l’accablement du tracas infini des affaires, le rend inaccessible. Si l’on ajoute qu’il impose à tout son entourage, peu nombreux, un secret « secrétissime, » comme il dit lui-même, sur ses pensées et ses actes, on comprendra qu’il ait été malaisé à ses contemporains de bien connaître ses véritables sentiments.

Richelieu enfin est grand seigneur dans ses goûts. Il aime la magnificence, le faste, les beaux bâtiments, les tapisseries, les œuvres d’art. Mais en grand seigneur, il aime le tout comme un accessoire de sa situation et ne considère le détail que de haut et de loin. Il dépensera sans compter, ne sachant jamais ce qu’il possède. Il commandera des constructions considérables : château de Richelieu en Poitou, le Palais-Cardinal à Paris, la Sorbonne, et il laissera à ses intendants le soin de réaliser ses idées