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nous dit en effet que ce n’est que tardivement que le ministre averti se fait lire quelques pièces, entre autres une lettre imprimée de Mairet. Cette lettre, ajoute Boisrobert, lui a donné l’idée de prendre sommairement connaissance du reste. Cependant on ne lui lit pas tout, car, continue Boisrobert, « Son Éminence n’a point vu le libelle que vous attribuez à M. Corneille. » Mais Richelieu en savait assez : il était édifié. Ainsi que Boisrobert l’expliquera à Mairet : « Son Éminence reconnaissait que de ces contestations naissaient enfin des injures, des outrages et des menaces, » qu’il fallait absolument faire cesser. Le cardinal ordonna immédiatement à Boisrobert de notifier de sa part aux auteurs de ces libelles qu’il entendait que la polémique prit fin sur le champ et que, dorénavant, sans exception, tout le monde se tût. Il ajoutait compter sur Boisrobert pour réconcilier les adversaires autour de sa table, à Paris, en les invitant ensemble à diner.

De là la lettre de Boisrobert à Mairet, du 5 octobre, qui transmet à celui-ci la décision du cardinal : « Son Éminence craignant que des tacites menaces que vous lui faites (à Corneille), vous, ou quelqu’un de vos amis, n’en viennent aux effets, qui tireraient des suites ruineuses à l’un et à l’autre, m’a commandé de vous écrire que si vous voulez avoir la continuation de ses bonnes grâces, vous mettiez toutes vos injures sous le pied et ne vous souveniez plus que de votre ancienne amitié. » Une lettre semblable était adressée à Corneille. Richelieu lui fera même dire plus tard de renoncer à l’idée de répondre aux Sentiments de l’Académie. Tous obéirent. Comme par enchantement, les publications cessèrent, tellement l’autorité du ministre ou la crainte qu’il inspirait étaient prestigieuses. Il n’en fut plus parlé.

Or, la querelle cessée, les rapports entre Richelieu et Corneille ont été tels qu’ils se fussent trouvés, s’il n’y avait pas eu la moindre ombre entre eux. Corneille, paraissant bien ne pas pas s’être douté un seul instant que le cardinal ait, durant la dispute, aucunement pris parti contre lui, a manifesté, jusqu’à sa mort, au ministre, les sentiments les plus vifs de reconnaissance, d’affection, de dévouement. Les renseignements que nous avons sur ce point ne permettent aucune hésitation. De la part de Richelieu, c’est toujours la même bienveillance, la même bonté, un désir constant d’être agréable à Corneille ; chez Corneille,