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Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/672

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Balzac a quitté Genève le 8 février pour regagner Paris, il trouva à son arrivée la lettre de Mme Carraud : « Je ne puis rien dire de vos critiques, répond-il, si ce n’est que les faits sont contre vous. A Tours, il y a un épicier en boutique qui a huit millions : M. Eynard, simple colporteur, en a vingt et a eu treize millions en or chez lui ; il les a placés en 1814 sur le grand livre, à cinquante-six francs, et s’en est fait vingt. Néanmoins, dans la prochaine édition je baisserai de six millions la fortune de Grandet [1]. » Puis il promet d’aller à Frapesle, avec Mme de Berny, si l’état de santé de cette pauvre amie le permet. Il tint sa promesse et alla se mettre au vert chez ses bons amis [2]. Il en avait grand besoin, car de nouveaux excès de travail avaient failli le tuer.

De Frapesle, il écrivait le 10 avril à Mme Hanska : « Mes travaux de nuit, mes excès, tout cela s’est payé. Je suis tombé dans un anéantissement qui ne m’a permis ni de lire, ni d’écrire, ni d’écouter même un raisonnement suivi. Ma faiblesse corporelle équivalait à la faiblesse intellectuelle... Cette fois, elle a été voisine de la mort et voici dix jours que je suis en convalescence. Le docteur a ordonné le changement d’air, le repos absolu, nulle occupation et une nourriture abondante. Me voici donc, pour une dizaine de jours, en Berry, à Issoudun (Frapesle), chez Mme Carraud [3]. »

Le 21 avril, il était de retour à Paris. Cependant, Mme Carraud, fatiguée par une prochaine maternité, donnait de vives craintes à ses amis. Le 9 juin, elle écrivait à Balzac :

J’ai la joie de vous annoncer, mon cher Honoré, qu’une partie du projet que vous m’aviez suggéré sera exécutée l’année prochaine. Carraud vient de passer un bail qui lui permet de se débarrasser des bâtiments qui masquent la cour, vis-à-vis la maison du fermier. Quant à éloigner cette dernière, et bâtir deux avant-corps, nous n’y pensons pas, quelque agrément qu’il pût en résulter.

N’eussions-nous pas en perspective un accroissement de famille qui nous force à restreindre nos dépenses, nous n’aurions pas eu la possibilité de mettre quelques mille

  1. Balzac ne réduisit que de trois millions la fortune du père Grandet (Éd. Fume, 1843, t. V, p. 344 : dix-sept millions ; l’édition originale, 1834, p. 333 : vingt millions. Laure Surville lui avait fait la même critique et Balzac avait riposté : « Ah ! il y a trop de millions dans Eugénie Grandet ? Mais, bête, puisque l’histoire est vraie, veux-tu que je fasse mieux que la vérité ? » (Correspondance, I, 261.) Balzac avait, en effet, connu, près de Saumur, un fameux avare, dont nous reparlerons quelque jour.
  2. Correspondance, I, 264 (lettre inexactement datée de fin décembre 1833 et qui fut écrite après le 8 février 1834).
  3. Lettres à l’Etrangère, I, 148.