Page:Revue des Deux Mondes - 1923 - tome 14.djvu/673

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

francs à cette bâtisse, car nous ne les avons pas en économie, et prendre sur le capital serait improbe : nous ne nous reconnaissons pas le droit de grever l’avenir de nos enfants. Compter sur les épargnes à venir serait folie ; quand on n’a juste que ce qu’il faut pour soutenir le genre de vie que l’on a adopté, il ne faut pas compter se restreindre, sans grande nécessité. Ce sera bien assez d’entamer le fonds pour l’expatriation en Suisse ; mais alors, ce sera sans scrupules, car là tout sera bénéfice pour les enfants. — J’aurais bien pu vous écrire plus tôt ; il y a plus d’un mois que j’ai recouvré la santé et la faculté de jeter quelques pensées à mes amis, mais l’arrangement de la maison m’avait faite matière et je n’avais plus le loisir de songer à autre chose. Tout cela ne va pas vite, car on ne trouve pas tous les jours des décorateurs comme vous, qui font tout magnifiquement. On met pourtant la dernière main au billard en ce moment et, sauf la salle à manger, tout le haut est prêt vraiment. Vous êtes venu trop tôt ; nos millions de roses étaient enivrantes il y a quinze jours. Et, à ce propos, n’aurais-je pas dû commencer par m’excuser de l’irrégularité de la réception que je vous ai faite ? La conscience de ma tant bonne amitié suffisait-elle, aurait-elle dû suffire à me tranquilliser là-dessus ? J’ai bien peur de vous avoir victimé dans cette circonstance, et cela par une sotte crainte. Je me figurais que vous dire la pénurie dans laquelle nous nous trouvions de tout ce qui rend la vie coulante était vous faire injure. Je ne sais pas si vous comptiez assez sur moi pour ne voir purement là-dedans que ce qui y était réellement, le désir de vous bien recevoir. Enfin, si vous avez un peu souffert, j’espère que vous ne m’en voulez pas, et qu’au travers de tout cela, vous aurez encore reconnu ma sincère affection. Je ne sais plus rien de vous ; vous êtes trop précieusement occupé pour que je désire que vous me mettiez au courant de vos agitations. Je n’espère donc qu’en les journaux ; faites vite paraître quelque chose, afin qu’ils me parlent longuement de vous. Auguste nous quitte dans quinze jours, tout affriandé pour son voyage d’Italie, et vous aussi, vous allez quitter la France pour courir après des émotions nouvelles ! Ah ! comme je me sens envie de vous dire que vous prodiguez votre vie, que vous la jetez à tout venant, que vous dépensez des trésors sans résultat ! Moi, je n’ai pas le droit d’en pleurer, mais comme cela me gonfle le cœur ! Au