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Il semble bien que la civilisation des Incas dans les Andes ne doive rien à celles qui se sont développées chez les Astèques du Mexique, — et antérieurement, chez les Toltèques dans la même région, ainsi que chez les Maïas de l’Amérique centrale. Ces peuples s’ignoraient et l’absence de navigation les tenait isolés du reste du monde. Cet isolement, qui paraît absolu, explique bien des anomalies ; métallurgistes assez avertis, les Incas n’ont pas su extraire le fer, dont les Andes contiennent le minerai en abondance. Ces puissants architectes ont ignoré la voûte ; leurs palais aux murs lamés d’or sont recouverts en paille, et les appartements sont éclairés uniquement par la porte d’entrée, car ils ne connaissent pas les fenêtres. Grands constructeurs de routes, ils ne font pas de ponts, mais seulement des chaussées où les torrents se sont frayé maintenant un passage. La charrue est inconnue de ces savants agriculteurs et ils ouvrent leur sillon au moyen d’une lourde poutre armée, que traînent six ou huit hommes.

Dans le domaine de l’esprit, l’isolement a produit des conséquences plus importantes. Les seules comparaisons possibles sont offertes par des peuplades primitives dont l’infériorité manifeste frappe le peuple des Incas : l’origine divine de ses institutions, que soutient d’ailleurs une force invincible, ne provoque aucun examen, aucune tentative de scepticisme. L’Inca lui-même croit à sa propre divinité ; sa seule règle morale est le respect de cette divinité et des traditions de ses aïeux. C’est pourquoi il n’éprouve pas le vertige des sommets dont l’atmosphère lui est naturelle. Sa conduite ne rappelle en rien celle qui a terni presque tous les Césars de la décadence, ces parvenus ; ni même ce déséquilibre mental dont sont victimes certains contemporains arrivés trop vite, à partir du moment où ils se croient au-dessus de tout contrôle. L’Etat, c’est lui, et son universelle bonté n’est qu’un égoïsme à la taille de sa grandeur. La paix à l’intérieur et la guerre aux frontières, mais une guerre bien organisée, avec une intendance prévoyante et de fréquentes relèves, et dont les hostilités ne durent jamais assez longtemps pour fatiguer les peuples. Il faut s’arrêter un instant pour contempler ce magnifique équilibre du souverain et de la nation.

Mais quand des rivages de l’Océan mystérieux ont surgi les hommes blancs rendus invulnérables, portant dans leurs mains le tonnerre et montés sur des animaux étranges, la foi s’évanouit,