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bon vouloir, pour être assurée de retrouver son prestige dans le monde, sa liberté d’action diplomatique, en même temps que la libre disposition de ses moyens matériels immobilisés depuis trop longtemps dans l’Ile sœur ; entre elle et les États-Unis la voie est ouverte pour un rapprochement. Quant à la sécurité militaire et navale du pays, elle n’est pas plus compromise aujourd’hui qu’hier, du moment que la Grande-Bretagne garde une main sur les ports et les points stratégiques. D’une façon ou de l’autre, se dit-on, l’Irlande était perdue pour nous, il ne s’agissait plus que de sauver la face. Et de sauver l’essentiel, c’est-à-dire l’Empire. L’Empire en péril ! Tel a été, pendant combien d’années ? le grand argument invoqué par les Unionistes pour rejeter le home rule, et voici qu’aujourd’hui, — la roue a tourné, — c’est celui-là même que se donne à tort ou à raison la majorité gouvernementale pour justifier la concession à l’Irlande du statut de Dominion. La violence faite à l’Irlande était devenue, pense-t-on, une menace pour la paix et l’intégrité impériale ; on veut donc espérer qu’une politique de conciliation servira à consolider l’Empire : la nécessité crée parfois de ces illusions !...

En dehors de la « coalition, » il n’y a guère que les réactionnaires de l’Extrême droite, ceux qu’on appelle les Die Hards, pour protester au nom de l’honneur du drapeau contre un traité où ils dénoncent une humiliation abjecte, une ignoble capitulation devant le terrorisme : « une folie et une honte, » dira Lord Hugh Cecil ; « un des plus grands désastres de l’histoire, » selon le duc de Northumberland. Ils sont d’ailleurs peu nombreux, ces Ultras de l’Unionisme, et un peu brûlés devant l’opinion. Il est vrai qu’ils ont pour allié, en Irlande même, l’Orangisme ulstérien, lequel est entré tout de suite en pleine révolte contre le traité anglo-irlandais. Comment ! II est depuis cent ans, lui, l’Orangiste, le soldat de l’Angleterre en Irlande, il est le seul survivant de la « garnison » anglaise en Erin. Or on prétend fouler aux pieds ses droits et l’englober dans une Irlande une et unique, en lui réservant bien un droit de sécession, mais au prix d’une nouvelle délimitation de ses frontières, soit d’une menace déguisée. On fait de l’Irlande rebelle un Dominion autonome, on comble de faveurs l’enfant prodigue, tandis qu’on laisse l’Ulster loyaliste seul dans son « coin, » seul « avec son déshonneur. » Naguère encore il était flatté, choyé par le parti