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la revanche contre la France doit avoir pour prélude la revanche contre la révolution. Les chefs de la Schwerindustrie ont résolu de reprendre en main la classe ouvrière ; il s’agit de souder, comme au beau temps de la guerre « fraîche et joyeuse, » la grande industrie dirigeante et le prolétariat obéissant. Seul le nationalisme, la haine de la France, peuvent devenir le ferment capable d’arrêter la décomposition sociale et politique du Reich. Particularisme régional, particularisme de classe : la défaite et la révolution ont effrité l’autorité, émietté l’unité, ravivé la tradition fédéraliste ; il faut resserrer les liens et assurer la cohésion et, pour cela, agiter l’épouvantail de la conquête française. La France veut démembrer le Reich, annexer la Rhénanie, annexer la Ruhr, détruire la prospérité économique : l’union de tous les Allemands est nécessaire pour arrêter ses ambitions. Ainsi, destruction du Traité de Versailles, sauvetage de l’unité du Reich, maintien de la prééminence sociale et politique des hobereaux prussiens et des magnats de l’industrie, on obtiendrait, si la politique de résistance conduisait à la victoire, tous les résultats à la fois : l’Allemagne et ses gouvernants jouent la suprême partie et ils feront tout pour la gagner.

L’idée fausse que l’unité allemande est une réalité historique et politique comparable à la cohésion nationale française a été, après notre victoire, la source première de toutes les erreurs de notre politique. En réalité le Gouvernement d’Empire a toujours été obligé, même dans les périodes de succès et de prospérité, de travailler et de lutter pour donner aux diverses parties de la Confédération le sentiment et la preuve de l’utilité, de la bienfaisance de l’organe central de Gouvernement. L’unité n’a jamais été une réalité inébranlablement fondée sur un patriotisme national vraiment conscient de lui-même, de sa force comme de ses limites ; elle n’est qu’une abstraction, un rêve immense, une virtualité, une sorte de religion pangermaniste [1]. Les problèmes toujours renaissants que la tenace volonté de Bismarck avait résolus par la force, il faut, après la défaite, les reprendre, y chercher de nouvelles solutions. L’œuvre constitutionnelle de Weimar est toute théorique ; il reste à la vivifier avec les forces très amoindries qui restent à l’État. Mais, si l’État est défaillant, la grande industrie viendra à son secours, ou plutôt se substituera à lui ; mais elle gouvernera dans son intérêt qui est d’abord d’écraser la démocratie parlementaire et la démocratie socialiste

  1. Voir la Décomposition de l’Etat allemand, par Edmond Vermeil, dans la Vie des Peuples du 10 mars.