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revue littéraire.

La Fontaine, en somme, ne modifie pas beaucoup le portrait des animaux qu’il a trouvé dans les fables d’Esope. Une fois, il contredit son maître ; c’est à propos du Renard : Ésope lui attribue un esprit tout plein de matoiserie. La Fontaine le nie, imprudemment. Pergaud l’en blâme : « Il est absolument inadmissible qu’un homme s’intéressant aux animaux, amant de la nature, amateur des promenades en forêt, ignore les nombreux traits de ruse et de finesse dont s’honore chaque jour l’hôte des terriers… » La Fontaine, observateur méticuleux ? Il n’avait, dit Pergaud, ni beaucoup d’attention, ni aucune méthode. Il suivait sa fantaisie charmante : et nous aurions tort de nous en plaindre.

Lui, Pergaud, cherche l’exacte vérité. Il note que l’opinion commune, relative aux animaux, est le plus souvent la fausseté même. Par exemple, on accuse le chat d’hypocrisie. Quelle sottise ! On en veut au chat, pour ses coups de griffes et ses coups de dents. Mais lui reprochez-vous de se défendre ? Vous lui reprochez de ne vous avoir pas avertis de son projet de se défendre ? Il vous a pris, comme on dit volontiers, en traître ? C’est que vous êtes des balourds qui n’attendiez pas la riposte. Vous le taquiniez, le chat, vous le tourmentiez : vous n’avez pas vu qu’il était à bout de patience. Il vous en avertissait, pourtant. Mais vous n’avez pas vu, balourds, les signes de son impatience : « le redressement des sourcils, le renversement des oreilles, le brandissement des moustaches, le frémissement du nez, un pli imperceptible au coin du mufle, l’agrandissement ou le rétrécissement des paupières, l’avivement de l’œil, un frétillement nerveux de la queue, certaines façons de se ramasser et de faire porter le poids du corps sur une seule patte… » Il vous avertissait, le chat ! Vous le traitez d’hypocrite : c’est qu’une loyauté exquise dépasse vos imaginations, hypocrites vous-mêmes ! Le chat ne vous trompe pas : c’est vous qui vous trompez à lui. Mais il ne se trompe pas à vous. Il vous a bientôt examinés et jugés. Il sait qui vous êtes, brutal ou gentil et, selon qu’il vous aura d’abord connus tels ou tels, vous le verrez venir à vous peut-être, ou s’écarter de vous avec une politesse où le mépris est joliment caché.

J’aime beaucoup cette juste apologie pour le chat. Cependant, j’aurais voulu que Pergaud ne dit point « le chat, » comme s’il n’y en avait qu’un ou comme si tous les chats étaient pareils. Il y en a de toute sorte : leurs espèces ou leurs races ne les distinguent pas autant que leurs caractères individuels. Il y en a de bêtes, en petit nombre. Il y en a de très intelligents ; il y en a de toqués ; il y a des