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Baucq parvint en quelques mois à faire franchir la frontière à plus de deux cents soldats. Mais cela ne lui suffisait pas. Assoiffé de patriotisme, il voulait plus, il voulait mieux. Il voulait que le recrutement belge affectât des proportions extraordinaires, et grâce à une organisation de plus en plus étoffée, assisté par des pères jésuites, il entreprit d’enrôler également de jeunes Belges en état de porter les armes.

Là ne se limitait pas son zèle débordant. Il avait créé un service de « mots du soldat, » qui transmettait avec une rapidité extrême les lettres des mobilisés à leurs familles. Il se voua encore à la diffusion d’un journal clandestin, la Libre Belgique, fondé, dès janvier 1915, par quelques patriotes belges. Baucq distribuait régulièrement, deux fois par semaine, à la barbe des Allemands, quatre mille exemplaires de cette feuille.

Bref, Baucq fut, dès le début, de toutes les associations de résistance. Il est le plus pur symbole de cette résistance âpre, acharnée, de cette lutte de tous les jours, lutte disproportionnée du droit opprimé contre la force brutale.

Fatalement, tôt ou tard, l’attention des policiers allemands devait être attirée par les menées de Baucq. Un mouchard le dénonce et dans la nuit du 31 juillet au 1er août, il est arrêté à son domicile. Son Journal, qu’il rédigea pendant sa captivité jusqu’à la veille de sa mort, et que les geôliers allemands remirent à Mme Baucq, par une circonstance fortuite, après son exécution, dans une valise remplie d’effets personnels, nous retrace toutes les péripéties de cette arrestation ; il nous dit les angoisses et les espoirs du prisonnier, il nous décrit en des pages dramatiques les interrogatoires des policiers et des juges allemands. C’est le document historique le plus significatif de l’occupation allemande, celui qui doit demeurer comme témoignage de la honte de nos ennemis.

Aussi ai-je sollicité de Mme Philippe Baucq, noble figure inconsolable, qui vit au milieu de ses souvenirs dans la petite maison de Schaerbeek où j’eus l’honneur de la voir, l’autorisation de publier le Journal de son mari. Elle me l’accorda volontiers.

À l’origine, Baucq avait écrit son Journal sur des bouts de papier, d’une écriture menue, souvent raturée, au crayon d’abord les premiers jours, puis, le plus souvent à l’encre. Il a lui-même recopié ce Journal dans trois cahiers d’écolier qui restent en possession de Mme Baucq. La minute diffère du cahier