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danger. Les quatre Allemands à présent avaient peur : de plus en plus surexcités, ils prirent chacun leur revolver en main, braquèrent dans le porche des lumières électriques de poche et voulurent l’abattre. Mon impression est qu’ils croient se trouver dans un repaire de bandits et espèrent faire un beau coup de filet. Pendant que ma femme et mes enfants, qui se trouvent au palier du premier étage, appellent d’une voix alarmée et gonflée d’angoisse : « Diane, Diane… » je fais observer que le chien n’est nullement méchant, j’insiste et supplie pour qu’ils ne le tuent pas. Finalement, le chien se décide à gravir l’escalier.

Je signale à ces messieurs que je ne suis ni un assassin, ni un voleur, et qu’une fois de plus, je m’étonne des procédés qu’ils emploient à mon égard : « Oui, monsieur Baucq, répond le chef, mes hommes, voyez-vous, sont un peu surexcités ; nous savons que vous êtes un brave et honnête homme : soyez tranquille, je vous connais très bien, je vous ai déjà vu maintes fois chez Oscar : comment va votre camarade Jefke ? »

Tout à coup, on entend le bruit produit par des objets qui venaient choir dans la cour ; un des types ouvre la porte, voit tomber des paquets, dont certains lui dégringolent sur la tête, en ramasse un, l’ouvre et constate qu’il contient des numéros de la Libre Belgique. Bien que je crie qu’il est inutile de continuer à les jeter, il ne cesse d’en pleuvoir. Là-haut, pris d’une émotion bien compréhensible, ils perdent leur sang-froid, ne réfléchissant plus, s’affolant, et, malgré mes appels, lancent à tour de bras les petits journaux par la fenêtre. Ils étaient tellement agités, pressés, énervés de se débarrasser de cette marchandise compromettante, que pas un seul n’avait eu le temps de songer que ce qu’ils faisaient ne servait absolument à rien. Mais l’intention était tout simplement admirable : ils voulaient aider, sauver leur papa… Ô mes braves cœurs, votre moyen n’étant pas bon, vous n’avez pas réussi, et cependant je vous adresse à tous un merci vraiment ému.

Le chef ne me quitte pas un seul instant : il me fouille, prend les clés et les divers documents que j’ai sur moi, par le fait que je comptais les cacher avant d’aller me coucher. Ces documents ne prouvent malheureusement point mon innocence, et me mettent dans une situation bien précaire. Soit, inclinons-nous devant la fatalité. Dieu nous aidera et souvenons-nous qu’un