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JOURNAL DE MA CAPTIVITÉ
Samedi, 31 juillet 1915.


Il était environ dix heures et demie du soir. Les bruits de la rue lentement s’évanouissaient. Bientôt le silence allait s’étendre sur la ville endormie. La famille tout entière était réunie autour de la table et chacun était heureux de goûter les douceurs du foyer. Le travail de la journée étant terminé, Mlle  Thuliez que nous avions invitée à loger venait d’arriver. Après avoir fait un bout de causerie, nous avions décidé de nous mettre au lit. L’un après l’autre, nous montions l’escalier pour gagner nos chambres respectives, lorsque j’entendis le chien aboyer.

Dans la suite, je me suis rendu compte que la brave bête avait donné l’éveil, ceux qui devaient m’arrêter quelques instants plus tard s’étant approchés de la porte. Je me figurais à ce moment qu’on avait oublié de le laisser sortir comme d’habitude. Ma femme ayant répondu négativement à la demande que je lui fis à ce sujet, je pris la résolution de le mettre à l’extérieur.

J’avais à peine ouvert la porte donnant accès à la cour, qu’un homme se précipitait sur moi, me repoussait dans la maison et me demandait : « Où est la femme qui vient d’entrer chez vous ? » Cette brusquerie m’avait laissé un instant comme étourdi. Cependant, m’étant ressaisi, je me rendis rapidement compte que je me trouvais bel et bien dans la gueule du loup. Je me mis à protester, faisant remarquer que je ne savais pas ce qu’il me voulait et ne pouvais admettre que des inconnus entrent de cette façon chez moi. J’insistai pour que le commissaire de police fût avec eux : ce fut en vain. Sous la menace, on me défendit d’élever la voix ou de crier.

Entre temps, surgissait un second individu, puis un troisième et enfin un quatrième. Le premier, paraissant être le chef et s’exprimant avec un léger accent allemand, me dit : « Faites attention, il y a de nombreux soldats dans la rue, taisez-vous, ou je vous frappe, » et pendant ce temps notre brave chien aboyait toujours. Il voulait défendre son maître qu’il voyait en