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fortune. Immédiatement j’achète au soldat une carte postale que je tiens précieusement en mains. Ô petite carte postale !… tu effectueras ton voyage, petite messagère, en passant de main en main, et, au terme de ta course, tu atteindras la chère maison ; là, tu donneras des nouvelles, pour rassurer toute la chère famille, tu diras que papa est toujours fort et courageux, qu’il ne désespère point, qu’il aime plus que jamais ceux qui lui sont chers, et momentanément mes sombres pensées se sont évanouies ; dans ma joie, j’oublie que je suis en prison.

Un peu plus tard arrive un vieux gardien à barbe grise, dont la figure bienveillante et sympathique me réconforte énormément. Quelle agréable jouissance on éprouve, en voyant entre ces quatre murs nus et froids, une physionomie douce et bonne ! Il vient me demander si je veux être rasé, j’accepte avec empressement.

Cependant, une petite déception m’est réservée : en effet, lorsque je demande au gardien, vers le soir, si je peux remettre ma carte, j’apprends que la correspondance doit être remise au sergent le mardi et le vendredi dans la matinée. Je me résigne facilement à ce contre-temps, car l’essentiel pour moi est de savoir que, dorénavant, je pourrai adresser une missive aux miens.

Enfin, pour terminer cette excellente journée, je reçois des livres ; ils me permettront de me distraire l’esprit, de chasser l’ennui qui me fait horreur et empêcheront ma pensée de s’en aller à la dérive.

Avant de m’endormir, je me sens de nouveau envahi par le doute, je crains toujours qu’il ne soit arrivé quelque chose de malencontreux chez moi ; d’autre part, je m’aperçois de plus en plus que mon affaire est encore bien loin de prendre une tournure qui puisse me tranquilliser.

Mercredi, 4 août 1915.

Je me plonge dans la lecture, ce qui me distrait et rend mon emprisonnement beaucoup moins accablant. Je puis enfin détourner mes yeux de ces quatre murs qui me sont odieux. J’entends tambouriner sur la muraille ; le bruit augmente, devient plus pressant : le voisin serait-il d’avis de renverser le mur ? Le bruit cesse un instant, puis des coups sont frappés sur les tuyaux de chauffage, j’entends une voix… S’agirait-il d’un appel ?

Je m’approche d’un endroit où les tuyaux traversent le mur, colle mon oreille contre ce dernier, et m’aperçois qu’en effet, le