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voisin veut me parler. Nous entrons en conversation, il me raconte qu’ayant été pris en voulant rejoindre l’armée, il a été condamné à être enfermé comme prisonnier de guerre dans un camp en Allemagne ; en attendant son transfert, il s’est évadé de la prison où il avait été enfermé ; finalement, il a été repris à Molenbeek et conduit ici. Cet homme que je ne connais point, me fait l’impression d’être un fameux gars, et ce dont je suis certain, c’est qu’il a un cœur vraiment bon. Il s’empresse de me consoler de son mieux, me recommande surtout de ne rien avouer et de ne pas avoir peur. Il m’apprend que l’on peut aller au préau et se procurer du savon, du papier, des cigarettes, le journal allemand la Belgique, etc… ; ma tristesse, petit à petit, m’abandonne et fait place à l’espoir ; à peu près de la même manière, j’entre en rapports avec l’autre voisin qui a été arrêté parce qu’il se trouvait dans la maison d’un espion, au moment de l’arrestation de celui-ci. Après avoir terminé notre petit entretien, je vois successivement un pigeon et un moineau se promener sur le seuil de ma fenêtre : eux aussi semblent vouloir venir égayer ma triste solitude.

Il est cinq heures, le gardien apporte le souper. À ce propos, voici le régime de la prison appliqué aux prisonniers politiques tenus au secret : à 5 heures du matin, la cloche sonne le réveil ; un peu plus tard, on vient remplacer le seau (les gardiens l’appellent le pot) qui contient les eaux sales. À sept heures, on distribue le café, un demi-bol et un demi-pain bis. L’heure suivante, le sergent passe pour demander « Alles gut ? » — remettre et prendre la correspondance, vendre des cartes postales et le journal, prendre les commandes pour la cantine. À midi, on sert la soupe (trois quarts de bol), des pommes de terre avec un bouilli ou des carbonnades et un verre de faro[1]. Vers une heure, le gardien reprend l’assiette ainsi que la cuiller et la fourchette et donne un second verre de faro. À cinq heures, nous recevons un demi-bol de café, un demi-pain bis et un petit morceau de fromage. Ce dernier est remplacé en semaine, parfois par un œuf, les dimanches et les jeudis, par un petit morceau de beefsteak ou de côtelette de porc.

À huit heures trois quarts, la cloche sonne pour annoncer qu’il faut préparer les lits, et vers neuf heures, un dernier coup

  1. Bière de Bruxelles.