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messieurs sont persuadés qu’ils seront les vainqueurs. Ils affirment que les Russes seront définitivement écrasés et que la campagne menée contre eux est bien près d’être terminée, ce qui permettra d’envoyer, sous peu, un renfort de près de deux millions d’hommes contre les Français. Puis ils débarqueront une armée en Angleterre ; en outre les Français n’ont plus d’argent, et les grèves sévissent chez les Anglais. J’ai répliqué en faisant observer que j’avais l’intime conviction qu’il n’en serait pas ainsi.

— Oui, messieurs, le jour où vous avez donné à l’Angleterre, maîtresse de la mer, le prétexte pour intervenir dans cette guerre, vous vous êtes porté le coup de grâce ; je suis convaincu que nous aurons la victoire et mon affirmation est fondée sur les dires de deux hommes éminents de l’Empire allemand. En effet, von der Goltz, dans un ouvrage publié avant la guerre, a démontré que si l’Allemagne ne parvenait pas à contrebalancer la suprématie maritime de l’Angleterre, elle serait inévitablement vaincue le jour où elle serait en lutte avec la Triple-Entente. De plus, lors de la séance du Reichstag, qui eut lieu le 3 ou le 4 août 1914, le chancelier de l’Empire a dit : « Nous savons qu’en violant la neutralité de la Belgique et du Luxembourg, nous portons atteinte aux droits des gens, mais c’est pour nous une question de vie ou de mort ; nous devons aller vite et frapper rapidement. » Vous avez été vite, messieurs, mais vous n’avez pas encore frappé. Et voilà pourquoi je le répète, en m’appuyant sur les dires de vos hommes les plus éminents, je prétends que vous serez vaincus…

M. Henry accepte de faire parvenir une lettre à ma chère femme et me rassure complètement à son sujet. J’éprouve une immense joie et mon cerveau est délivré d’une pensée qui l’obsédait sans cesse.

Aussitôt rentré dans ma cellule, je me suis mis à étudier ma défense.

Mardi, 10 août 1915.

De grand matin, je continue à préparer ma défense ; ce travail m’absorbe à tel point que j’ai oublié de remettre la carte postale écrite à mon frère. M’étant aperçu de mon oubli, j’ai pris la poignée et fait résonner le timbre d’appel, espérant ainsi faire venir le gardien et réparer ma distraction, mais personne ne s’est montré.