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instants, elle s’apprête à se remettre en mouvement, soulève son corps et se met à courir, vite, vite ; heureuse et vive, elle avance par saccades, s’arrête et s’envole dans le faisceau de lumière du soleil éclatant, où elle fait un petit point noir parmi les poussières qui miroitent et flottent dans l’air. Elle décrit quelques courbes, descend en un vol allongé et va se poser sur la tache d’or qui flâne mollement sur le parquet. Je reste stupéfait en constatant combien doit être merveilleux et délicat le mécanisme intérieur qui actionne tous les membres d’une mouche.

Les rayons lumineux disparaissent momentanément : un nuage aura sans doute caché le soleil, mais ils réapparaissent avec un nouveau sourire qui se transforme bientôt en sourire étincelant. Maintenant le soleil brille dans toute sa splendeur, produisant des ombres nettement marquées. Ma mouche vient me retrouver et reprend sa place sur la table ; on dirait qu’elle me regarde, s’aperçoit que je ne suis pas heureux, et reste bien tranquille pour ne pas me tourmenter davantage. La tache de soleil devient plus vague. Son intensité décroît, elle pâlit et sa promenade nonchalante la conduit sur l’autre mur, où elle fait un effort pour survivre, mais les nuages ayant pris le dessus et voilé le puissant foyer solaire, elle s’évanouit et finit par mourir. La mouche, s’étant aperçu que les rayons du soleil avaient disparu, s’est frottée les deux petites pattes de devant comme pour se donner de la force et a fait un mouvement de tête exprimant ainsi sa mauvaise humeur en voyant l’or du soleil lui échapper. Et l’ingrate m’a quitté ; pareille aux hommes, elle s’est lancée dans l’espace, dans le grand mouvement de la vie, dans l’inconnu, où elle se perdra, j’en suis certain, en voulant trouver l’or qu’elle convoite si ardemment.

… Patatras !… on vient me chercher pour l’interrogatoire. Franchement, ça commence à m’agacer et je voudrais qu’on me fiche la paix : les interrogatoires me pèsent lourdement, et me plongent dans une angoisse qui m’accable. Enfin me voilà parti ; nous allons voir ce qu’il y a de nouveau. M. Henry, qui est seul, me dit :

— Cette fois, je sais tout, et vous avez un grand intérêt à m’expliquer ce que vous savez, car si vous maintenez votre attitude, vous allez vous faire condamner pour les autres et compromettre les innocents. N’oubliez pas que vous êtes père